Voir plus
Voir moins

L’école obligatoire jusqu’à 18 ans?

Des spécialistes s’interrogent sur une hausse de l’âge de fréquentation scolaire obligatoire.

15 novembre 2016 à 16 h 11

Mis à jour le 15 novembre 2016 à 16 h 11

Des dizaines de personnes ont assisté, le 7 novembre dernier, à une table ronde ayant pour thème «Un diplôme avant 18 ans ?». Animé par la journaliste Josée Boileau (B.A. communication, 1987), ex-rédactrice en chef du Devoir, et organisé par le Conseil de diplômés de la Faculté des sciences de l’éducation et le Bureau des diplômés de l’UQAM, l’événement a permis de confronter les points de vue de quatre spécialistes: les professeurs Pierre Fortin (sciences économiques), Pierre Doray (sociologie) et Louis Cournoyer (éducation et pédagogie), ainsi que Josée Landry, présidente de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (OCCOQ).

Depuis 1988, l’âge de fréquentation scolaire obligatoire au Québec est de 16 ans. Aujourd’hui, plusieurs voix s’élèvent  pour demander qu’il soit haussé à 18 ans ou pour exiger l’obtention d’un diplôme avant cet âge. Ce débat s’inscrit, notamment, dans le contexte des consultations ministérielles sur la réussite éducative, qui se termineront le 1er décembre prochain.

Le débat a été relancé, entre autres, par la publication récente d’un rapport de trois chercheurs de HEC, faisant valoir que l’idée de rendre l’école obligatoire jusqu’à l’obtention d’un diplôme professionnel, universitaire ou autre, ou jusqu’à 18 ans, inciterait chacun à aller au bout de ses capacités et, surtout, à fréquenter un établissement d’enseignement jusqu’à la majorité.

Dans un livre publié en avril dernier, l’ex-enseignant et député de la Coalition Avenir Québec (CAQ) Jean-François Roberge préconise lui aussi l’école obligatoire jusqu’à 18 ans. Le chef du parti, François Legault, en a fait un cheval de bataille.

Parcours diversifiés

Josée Landry s’est interrogée sur l’obligation de la diplomation avant 18 ans, qui risque, selon elle, de laisser dans l’ombre les jeunes ayant des besoins particuliers. Préoccupée par les coûts humains d’une telle mesure, elle a rappelé que les parcours ne sont ni uniques ni standardisés. «Il faut investir en éducation et créer des passerelles permettant aux jeunes d’avoir accès à la formation professionnelle.»

Pour Pierre Doray, la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans ne règle rien. Un quart des jeunes n’obtiennent pas un diplôme six ans ou moins après l’entrée au secondaire, a-t-il rappelé. «Les parcours changent et continueront de changer, a souligné le sociologue. Il faut donc faciliter des rattrapages diversifiés, remobiliser les jeunes vers l’emploi, ce que font plus de 50 entreprises d’insertion au Québec. Il faut aussi modifier les approches en matière de lutte contre le décrochage scolaire.».

Autre son de cloche de la part de Pierre Fortin. Selon lui, l’école doit être obligatoire jusqu’à 18 ans, sauf si le jeune a déjà obtenu un diplôme ou une qualification équivalente. «Le taux de décrochage diminue constamment depuis 1990, mais il demeure nécessaire de le combattre dans la mesure où, par exemple, l’écart entre le Québec et l’Ontario est encore important, a noté l’économiste. Les jeunes quittant l’école sans diplôme risquent de ne pas y revenir. Il faut donc rendre obligatoire l’obtention d’un diplôme, et ce, au plus jeune âge possible.»

«Un diplôme avant 18 ans, pourquoi pas ?», a lancé Louis Cournoyer. Surtout si l’obligation permet de rehausser la confiance en soi, si elle conduit à davantage de mesures d’accompagnement et si les jeunes sont orientés vers un projet de développement personnel et professionnel. Cela dit, le diplôme n’est pas une fin en soi, mais un moyen, a poursuivi le professeur. «L’entrée dans le monde adulte correspond à une période de transition majeure et la diversité des contextes est importante. Que l’on allonge ou pas l’âge obligatoire, il faudra miser sur le développement personnel et assurer, dans bien des cas, un suivi psychosocial et professionnel centré sur le projet de vie des jeunes.»

Inégalités persistantes

Josée Boileau a rappelé la persistance des inégalités sociales à l’école. Le taux de diplomation dans les écoles privées est de 91%, contre 71% dans les écoles publiques.

Selon Pierre Doray, la formation professionnelle a été survalorisée à une certaine époque. «Les jeunes ne s’y retrouvent pas, a-t-il dit. C’est une filière fermée, notamment parce qu’elle est massivement occupée par des adultes en reconversion. Il faut développer des stratégies pour remobiliser les jeunes vers la formation continue.»

Si l’école est obligatoire, le jeune y demeurera, sans se dire qu’il pourra toujours revenir par la porte de l’éducation aux adultes, a souligné Pierre Fortin.

Des études ont démontré que plus une école est mixte, plus les enfants de milieux défavorisés réussissent, car ceux de milieux favorisés agissent telle une locomotive, a rappelé Pierre Doray. Le sociologue a aussi souligné que le Québec a réussi à bâtir des réseaux d’éducation aux adultes solides et innovateurs. «Il ne faut pas oublier que les problèmes de littératie concernent aussi les personnes de 30, 40 et 50 ans.»

La table ronde s’est conclue sur le témoignage d’un homme de 37 ans, dont le parcours scolaire fut extrêmement difficile en raison de sa bipolarité. Il a raconté qu’il n’y avait pas de ressources à l’école pour le soutenir, et pas davantage en formation des adultes.

Louis Cournoyer en a profité pour insister sur l’importance des mesures d’accompagnement. «On compte actuellement un conseiller en orientation pour 1 600 élèves, ce qui est nettement insuffisant, a-t-il affirmé. D’où l’importance de réinvestir massivement en éducation.»