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Début de l’ère Trump

Le président américain est imprévisible et son utilisation de Twitter défie toute logique diplomatique.

Par Pierre-Etienne Caza

20 janvier 2017 à 8 h 01

Mis à jour le 31 janvier 2018 à 15 h 01

Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Donald Trump, 45e président des États-Unis.Photo: Gage Skidmore

À quoi doit-on s’attendre de la part du président Trump? «Il a formé un cabinet hétéroclite sur le plan idéologique. Ses orientations en matière de politique intérieure et de politique étrangère dépendront des gens auxquels il fait le plus confiance», souligne Frédérick Gagnon, professeur au Département de science politique et titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.

Pour l’instant, nul ne sait qui aura l’oreille du président. Son gendre, Jared Kushner, nommé haut conseiller? L’ancien dirigeant de Breitbart News, Stephen Bannon, qui sera conseiller? Son secrétaire d’État Rex Tillerson, ancien pdg d’ExxonMobil? Le général à la retraite James Mattis, nommé secrétaire à la Défense? Le Procureur général Jeff Sessions, ancien sénateur de l’Alabama?  Le vice-président Mike Pence? «On ne sait pas quel type de dirigeant sera Trump parce qu’il est le premier président de l’histoire à n’avoir aucune expérience politique, gouvernementale ou militaire, rappelle Frédérick Gagnon. C’est un novice qui n’est pas au fait des détails de tous les dossiers qui l’attendent à partir de maintenant.»

Afin de mieux saisir le personnage, le professeur s’est plongé dans The Art of the Deal (Random House, 1987), l’ouvrage coécrit par Donald Trump et le journaliste Tony Schwartz. «Donald Trump est un homme d’affaires et tout ce que j’ai lu dans son livre correspond exactement à ce qu’il a été pendant les primaires, la campagne présidentielle et depuis son élection. Il écrit, par exemple, qu’il écoute les gens autour de lui, mais qu’il prend des décisions en se fiant à son instinct. Il affirme qu’habituellement, il ne se trompe pas. Manifestement, il a une énorme confiance en lui, mais le corollaire est qu’il risque de ne pas véritablement écouter ses conseillers. Pire, il avoue être méfiant envers à peu près tous ceux qui l’entourent. Pour lui, la vie est une compétition et on ne peut se fier qu’à soi-même.»

Frédérick Gagnon

Cette tendance à voir des adversaires partout autour de lui rappelle un autre président qui avait tendance à la paranoïa, fait remarquer Frédérick Gagnon. «Nixon a fini par se fier uniquement à une poignée de personnes autour de lui, dont Henry Kissinger, qui a pu en mener large à la Maison Blanche.»

À sa première conférence de presse depuis son élection, le 11 janvier dernier, Donald Trump a non seulement insulté les membres de la presse, qu’il accuse constamment de malhonnêteté à son égard, mais aussi mis en doute la loyauté des services de renseignement, qui auraient selon lui orchestré les fuites concernant de prétendus documents compromettants que possèderait la Russie à son sujet. «Ce faisant, il s’est sans doute mis à dos plusieurs personnes au sein des services de renseignement, qui sont pourtant un rouage essentiel dans la mise en œuvre de la politique étrangère américaine», souligne Frédérick Gagnon.

Le nouveau président américain a aussi affirmé qu’il n’aimait pas vraiment lire des livres. «Ce n’est clairement pas quelqu’un de curieux qui aura le nez dans ses dossiers jour et nuit et qui souhaitera disposer du plus d’information possible avant de prendre une décision. En ce sens, il ressemble un peu à George W. Bush, qui se fiait également beaucoup à son instinct et à ses proches conseillers», analyse Frédérick Gagnon.

Stratégie ou improvisation?

Dans The Art of the Deal, Donald Trump affirme que si on l’attaque ou tente de l’intimider, il riposte 10 fois plus fort, fait remarquer Frédérick Gagnon. «Il est convaincu que c’est la bonne façon d’agir en politique… et jusqu’à maintenant, il n’a aucune raison d’en douter. Il a dit que Marco Rubio était trop petit, que Ted Cruz était un menteur, que Jeb Bush manquait d’énergie, que Hillary Clinton était corrompue… et il l’a emporté!»

Cultiver l’incertitude et l’imprévisibilité pour mieux négocier, cela rappelle aussi Nixon, analyse Frédérick Gagnon. «Nixon avait développé sa madman theory: faire croire à ses vis-à-vis étrangers qu’il était un peu irrationnel pour les déstabiliser, raconte-t-il. Or, Trump fait un peu la même chose en étant nébuleux ou en usant au contraire d’hyperboles frappantes. Sur la lutte au terrorisme, par exemple, il n’a pas voulu dévoiler ses orientations. Il a simplement affirmé: We’re gonna hit them hard. Est-ce que cela participe d’une stratégie mûrement réfléchie ou d’un manque de réflexion? Nul ne le sait…»

Une diplomatie sur les réseaux sociaux?

Donald Trump sera peut-être le premier président à mener sa diplomatie en 140 caractères sur Twitter, observe Frédérick Gagnon. Voilà une affirmation qui fait frémir Mélanie Millette, professeure au Département de communication sociale et publique et spécialiste de l’utilisation des réseaux sociaux. «J’espère que des professionnels au sein de son équipe vont gérer son compte Twitter à partir de maintenant, car sa façon de s’en servir est incompatible avec la fonction présidentielle», analyse-t-elle.

Mélanie MillettePhoto: Émilie Tournevache

L’absence de filtre éditorial caractérise les réseaux sociaux comme Twitter, où n’importe qui peut s’exprimer comme il l’entend. Et le nouveau président, qui a plus de 20 millions d’abonnés, ne s’en prive pas: il insulte ses détracteurs, intimide les pdg des grandes compagnies américaines, fait des remontrances aux autres chefs d’État, etc. «Typiquement, en communication politique et en relations publiques, il y a des standards, des bonnes pratiques, des manières de s’exprimer, rappelle Mélanie Millette. Trump réagit toujours à chaud, sous le coup de l’émotion et il est souvent impoli. Il véhicule un discours misogyne, raciste, haineux, qui incite parfois à la violence. Ce faisant, il alimente ses supporters, qui se sentent autorisés à reprendre ce type de discours et à agir de façon disgracieuse avec leurs concitoyens qui ne partagent pas leur point de vue.»

Trump est dans une classe à part, car il ne sent jamais le besoin de se rétracter ou de s’excuser. «Il y a plusieurs élus américains qui ont des discours très réactionnaires ou très à gauche, mais ils ne sont pas haineux envers leurs détracteurs, fait-elle remarquer. Et ils se rétractent ou s’excusent rapidement s’ils vont trop loin.»

Mélanie Millette ne veut pas jeter la pierre aux médias, mais elle remarque que ces derniers jouent un grand rôle dans le phénomène Trump. «La multiplication des chaînes d’information en continu a créé un besoin insatiable de nouvelles, explique-t-elle. Or, on prend moins de temps qu’avant pour vérifier les faits et pour analyser ce qui est dit.» On relaie les tweets de Trump sur les bandeaux au bas des écrans et on en discute avec des commentateurs qui donnent davantage dans l’opinion que dans le journalisme. Ce faisant, on se trouve à légitimer et à normaliser son discours, dit-elle. «On cautionne en quelque sorte ses tweets outranciers, car on les met sur le même pied que les communiqués officiels de la Maison Blanche. Et le pire, c’est qu’on s’habitue à cette confusion des genres. La preuve: au début des primaires américaines, chaque tweet de Trump déclenchait un tollé de protestations et de haut cris, alors que plus ça va, plus les gens semblent résignés et déprimés», ajoute-t-elle.

S’il fallait que le président Trump continue à tweeter à tort et à travers en interpellant ses vis-à-vis un peu partout sur la planète, il s’expose à de grands risques, juge Frédérick Gagnon. «C’est assurément un comportement susceptible de créer des remous à l’international. Et cela ouvre la porte à des bévues, des maladresses et des faux pas.» Peut-être pas jusqu’à justifier un processus d’impeachment, mais cela n’est pas impossible non plus. Trump, ne l’oublions pas, a maille à partir avec l’establishment du Parti républicain. «Les 100 premiers jours de sa présidence seront déterminants, affirme le professeur. S’il multiplie les bourdes, l’appui des républicains à son égard va s’étioler à mesure que les élections de mi-mandat approcheront, en novembre 2018.»

Mélanie Millette espère que Trump s’élèvera à la hauteur de sa fonction pour devenir le président de tous les Américains. «Son discours jusqu’à maintenant fragilise clairement les solidarités sociales, observe-t-elle. Heureusement, sur les réseaux sociaux, on assiste à une mobilisation importante au sein des mouvements citoyens, qui veulent faire contrepoids. Son élection aura peut-être contribué à fouetter l’engagement politique et social d’une nouvelle génération… »

L’avis des experts

On peut trouver ici la liste des professeurs de l’UQAM qui peuvent répondre aux questions des journalistes sur l’investiture de Donald Trump.