Voir plus
Voir moins

Composter en ville

Montréal doit rapidement construire des usines pour traiter ses matières organiques, plaide Charles Séguin.

Par Valérie Martin

13 mars 2017 à 16 h 03

Mis à jour le 13 mars 2017 à 16 h 03

Les bacs de compostage de la Ville de Montréal. Photo: Jean Gagnon

Série L’actualité vue par nos experts

Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Malgré sa bonne volonté, Montréal fait piètre figure en matière de collecte des matières organiques. «Elle accuse un retard assez important par rapport à d’autres villes canadiennes comme Toronto, qui récupère ces matières depuis 10 ans», remarque Charles Séguin, professeur au Département des sciences économiques de l’ESG UQAM et membre de l’Institut des sciences de l’environnement. La collecte de résidus alimentaires a débuté à Montréal de manière progressive en 2008 avec un projet pilote dans l’arrondissement du plateau Mont-Royal. «Les autorités municipales ont d’abord voulu observer ce qui se faisait ailleurs avant de mettre en œuvre leurs propres stratégies, mentionne le professeur. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise idée, mais cela prend du temps.»

Même si Montréal détourne actuellement entre 25 et 30 % des matières organiques des sites d’enfouissement, elle est encore bien loin de l’objectif initial de 60 % qui avait été établi par le gouvernement du Québec pour 2015! «La Ville a maintenant repoussé cet objectif à 2020», dit le spécialiste en économie de l’environnement.

En novembre 2016, la municipalité a terminé l’implantation de la collecte des matières organiques (résidus verts et alimentaires) dans 7 arrondissements sur 19. Dans les autres arrondissements, responsables de la collecte sur leur territoire, celle-ci est toujours en cours d’implantation. «Cela se fait de manière progressive dans la plupart des arrondissements, note le professeur. Certains ont agi plus rapidement que d’autres.»

La construction de centres de traitements des matières organiques sur l’île de Montréal se fait également attendre. «À l’origine, la ville-centre devait s’occuper du traitement, mais comme certaines propositions à l’étude ne font toujours pas le bonheur des résidents, la Ville est encore à ce jour contrainte d’envoyer ses matières résiduelles dans Lanaudière, pour les arrondissements de la zone est, et à Lachute, pour les arrondissements de la zone ouest (Lachine, Ile-Bizard–Sainte-Geneviève, Pierrefonds-Roxboro, Saint-Laurent)», explique Charles Séguin.

Un problème d’acceptabilité

Certains sites proposés, dans Ville Saint-Laurent et dans Montréal-Est, par exemple, ne posent pas de problème, puisqu’ils sont situés dans des zones peu habitées et à proximité d’autoroutes. D’autres projets tardent toutefois à obtenir l’approbation des citoyens. «Les résidents sont inquiets: ils ne veulent pas de grosses usines près de leurs résidences. Ils craignent les odeurs et le va-et-vient incessant que cela pourrait causer, même si ces usines devront respecter des normes strictes, fait remarquer le professeur. L’échéance pour la construction des usines a été reportée à 2019, mais il reste beaucoup d’incertitudes.»

La dégradation des déchets organiques libère du méthane, un gaz à effet de serre. «Actuellement, les usines qui traitent les matières organiques des Montréalais ne récupèrent pas le méthane», dit Charles Séguin. Les nouvelles usines, ultraperformantes, feront de la bio-méthanisation, c’est-à-dire qu’elles transformeront les résidus alimentaires et de jardin en compost et en biométhane, une version renouvelable du gaz naturel.

Cette technologie dernier cri a toutefois un prix. «Comme on traitera un gros volume de matières, c’est un choix logique, mais coûteux, souligne le professeur. Heureusement, la Ville bénéficiera d’importantes subventions fédérales et provinciales qui feront baisser la facture.»

Bonne nouvelle pour les Montréalais: un traitement plus performant permettra de produire un meilleur compost et de faciliter la collecte en éliminant certaines restrictions concernant les matières pouvant aller dans le bac brun. Autre avantage: obtenir un compost local. «La ville récupère le compost produit par les usines de traitement avec lesquelles elle fait affaire, précise Charles Séguin. Actuellement, elle doit donc faire revenir le compost par camion, ce qui n’est pas une pratique très écologique!»

Les autres villes canadiennes qui récupèrent les matières organiques ne sont pas des modèles à suivre sous tous les aspects, souligne le professeur. «Même si deux fois plus de ménages torontois s’adonnent à cette activité que leurs pendants montréalais, le centre-ville n’est toujours pas desservi.» Les municipalités canadiennes ne recueillent pas (ou très peu) les matières résiduelles des locataires habitant des immeubles de plus de neuf unités. «Le Plateau Mont-Royal vient de lancer un nouveau projet pour les résidences de moins de 15 logements, dit le professeur. L’initiative du Plateau devrait nous aider à mieux comprendre les défis de ce type de collecte et à voir comment les résidents s’organisent.»

Des provinces comme l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse, où 95 % des ménages compostent, ont mis en place il y a 20 ans des collectes de résidus alimentaires. «La population n’avait pas le choix: les dépotoirs débordaient!», rappelle Charles Séguin. Dans les deux provinces, l’interdiction d’enfouir les déchets organiques est en vigueur et montre déjà des effets positifs. «Le gouvernement du Québec voulait adopter une telle loi avant 2020, mais on verra comment les choses évoluent d’ici là.»

L’expérience tend à démontrer que les gens sont plus enclins à composter si une collecte à domicile est implantée dans leur municipalité. «Les résidents sont plus motivés à participer à une collecte à domicile qu’à faire du compost individuellement, au moyen d’une compostière», soutient Charles Séguin. Par ailleurs, la participation des résidents aux collectes de déchets alimentaires tend à augmenter avec le temps. «L’adoption de nouvelles pratiques n’est pas instantanée, poursuit le professeur. C’est une question d’habitude: on produit les mêmes déchets, mais on doit faire l’effort de les trier. Les citoyens finissent par trouver des trucs pour contrôler les odeurs et le taux d’humidité de leurs bacs bruns…»

Certaines études montrent que le compostage est plus coûteux pour les villes que l’enfouissement des déchets. «Mais les bénéfices environnementaux sont beaucoup plus grands et la qualité de vie des citoyens s’en trouve grandement améliorée», conclut Charles Séguin.

Experts de l’UQAM : les enjeux du compostage

La collecte des déchets en vue de diverses formes de compostage a un certain appui dans l’opinion publique, au nom de valeurs écologiques. Cependant, des questions se posent à propos de l’efficacité et de la cohérence des actions entreprises en ce sens. On peut se demander également si la récente promotion, par plusieurs arrondissements de la ville de Montréal, de la récupération des déchets organiques dans des bacs bruns sera suivie d’effets mesurables. On peut consulter ici la liste des experts de l’UQAM qui sont disponibles pour commenter le sujet.