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«En classe!»: entre religion et culture

Ève Paquette explore avec ses étudiants les rapports entre religion et culture à l’époque contemporaine.

Série

En classe!

Par Claude Gauvreau

7 février 2017 à 16 h 02

Mis à jour le 2 juin 2022 à 21 h 41

Se questionner sur les concepts de religion, de sacré, de sécularisation et de laïcité conduit à aborder l’un des grands défis auxquels font face toutes les sociétés modernes pluralistes: envisager une façon de vivre ensemble pacifiquement, à une époque où la diversité des conceptions de la vie – morales, religieuses et philosophiques – n’a jamais été aussi prononcée.

C’est en quelque sorte l’objectif que s’est donné la professeure Ève Paquette, du Département de sciences des religions, dans son cours «religion et culture». Ce cours obligatoire accueille quelque 130 étudiants, la plupart inscrits dans les programmes de baccalauréat en sciences de religions et en enseignement secondaire (concentration éthique et culture religieuse). Le cours du 31 janvier dernier était consacré à quelques concepts de base nécessaires pour comprendre le phénomène religieux dans ses rapports avec la culture contemporaine.

Rassemblés dans un auditorium, les étudiants écoutent religieusement les propos de leur jeune professeure qui, constamment en mouvement, commente un Power Point. Ève Paquette donne le ton en déclarant d’emblée: «Définir ce qu’est la religion s’avère une tâche complexe, compte tenu du fouillis théorique entourant ce concept.»

L’expérience chrétienne

La première partie du cours est consacrée à un retour sur certaines notions abordées au début de la session. «Notre définition du concept de religion est étroitement associée à l’expérience du christianisme, rappelle la professeure. Elle s’élabore au sein de la culture occidentale, à partir des premiers siècles de l’ère chrétienne jusqu’à la fin du Moyen Âge. Puis, dans le cadre de l’évangélisation des populations autochtones d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, entre le 15e et le 18e siècles, colonisateurs et missionnaires entrent en contact avec d’autres croyances, coutumes et rituels et en viennent à croire en l’existence d’un fond mythologique commun à tous les peuples.»

Au 19e siècle, l’anthropologie et l’ethnologie permettent de comparer le christianisme et d’autres religions fondées sur des textes sacrés, comme le judaïsme, l’islam et l’hindouisme. «Encore aujourd’hui, nous continuons de nous référer à ces grandes traditions pour nous représenter la religion», observe Ève Paquette

Le terme religion réfère généralement, dit-on, au surnaturel, à la croyance en une puissance divine, à une forme de transcendance. «On peut se demander à quoi sert la religion, dit la professeure. À donner un sens à la vie ? À structurer notre monde mental et physique ?» D’autres s’interrogent sur la façon dont les religions se sont développées dans le temps ou sur la construction de nos définitions de la religion. «Chacune de ces questions exprime un besoin de comprendre le monde», dit la professeure.

L’hypothèse de la sécularisation

L’hypothèse de la sécularisation des sociétés modernes au cours des 50 dernières années a suscité de nombreux débats parmi les spécialistes, dit Ève Paquette. «À partir des années 1960, des observateurs de la culture contemporaine constatent que les églises se vident peu à peu de leurs fidèles. Ils en concluent que cela correspond à une baisse de la religiosité en général dans la société.» Certains affirment même que la religion est en voie de disparition. «Est-ce que ce phénomène est généralisé dans le monde occidental?», demande un étudiant. «Bonne question, dit la professeure. L’hypothèse de la sécularisation a surtout été formulée en Amérique du Nord et dans les pays européens de culture anglo-saxonne. C’est aussi dans ces pays que le débat a été le plus animé.»

En examinant des sondages et des études sur la perte de croyance des individus, réalisés dans les années 1970 et 1980, on se rend compte que le nombre de croyants n’a pas réellement diminué depuis le 19e siècle, souligne Ève Paquette. «La baisse de fréquentation des églises ne signifiait pas nécessairement que les gens étaient moins religieux ou qu’ils avaient perdu la foi.»

Face à ses étudiants qui n’ont pas connu l’emprise exercée par l’Église catholique dans le Québec d’avant la Révolution tranquille, la professeure insiste sur l’importance de distinguer trois phénomènes apparus depuis les années 1970: la diversification des croyances dans un contexte d’émergence d’un marché religieux, l’individualisation, voire la privatisation, des pratiques religieuses et la sécularisation objective de la société. «Cette dernière correspond à une perte progressive de l’influence sociale et culturelle des institutions religieuses traditionnelles en tant que cadre normatif orientant les conduites et la vie morale dans l’ensemble de la société», poursuit la professeure. Les individus souscrivent ainsi de moins en moins aux prescriptions et aux dogmes de leur confession d’appartenance, sélectionnant les éléments ayant le plus de sens dans leur vie, tels que les rituels du baptême et du mariage.

Une étudiante lève la main. «Comment un État laïc perçoit la religion ?», demande-t-elle. «Dans un régime laïc, l’État doit observer une neutralité à l’égard des religions, ce qui suppose qu’il les traite de façon égale et qu’il ne peut favoriser ni combattre aucune d’entre elles, dit Ève Paquette. La définition de la laïcité, fortement inspirée par le modèle républicain français, inclut deux autres principes fondamentaux, ceux de la séparation des pouvoirs entre le politique et le religieux et de la liberté de conscience et de religion.»

Attention à ne pas confondre les notions de laïcisation et de sécularisation. La première concerne l’aménagement des rapports entre l’État et les différentes confessions et conduit l’instance politique à s’autonomiser par rapport aux normes religieuses.

Retour du religieux?

L’hypothèse de la sécularisation des sociétés modernes a aussi été fortement contestée sur la base du constat du retour du religieux, depuis la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, ce dont témoigneraient la popularité du protestantisme et de ses courants évangéliques ou encore l’essor de nouveaux mouvements religieux et spiritualistes.

Non seulement la religion ne s’est pas effacée, mais elle s’est moins privatisée qu’on l’a prétendu, soutient Ève Paquette. «Pensez au nombre de conférences sur la spiritualité des Mayas ou d’un autre peuple dans le monde. Entrez dans une librairie et vous constaterez que la section réservée aux ouvrages religieux ou à ceux traitant de spiritualités de toutes sortes est bien garnie. Tout ça se discute dans l’espace public.»

Ce que l’on a appelé les «nouveaux mouvements religieux» désigne l’ensemble des offres de sens qui ont commencé à être populaires dans les années 1970 en Amérique du Nord, «ce qui inclut aussi bien l’Église de la scientologie que les diverses pratiques associées aux traditions orientales, comme le bouddhisme», note la professeure.

«Un athée peut-il avoir une vie spirituelle?», s’interroge un étudiant. «Bien sûr, dit Ève Paquette. Il existe une spiritualité laïque. Selon certaines théories, le sacré nous aide à structurer le monde. Il est toujours présent et se déplace dans des espaces, notamment culturels, qui ne sont pas nécessairement rattachés aux institutions religieuses traditionnelles.»