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Une leçon de courage

Une étudiante conçoit un tutoriel pour aider ses enfants autistes à gérer leurs émotions… et à apprendre les mathématiques.

Par Claude Gauvreau

6 février 2017 à 16 h 02

Mis à jour le 7 février 2017 à 15 h 02

Le tutoriel conçu par Aydée Liza Mondragon est un jeu mathématique interactif. Il comporte un avatar, nommé Jessie, qui parle avec l’enfant, le motive et l’encourage. Photo: Istock

«J’ai dirigé plusieurs doctorants au cours de ma carrière, mais Aydée Liza Mondragon est un cas unique. C’est l’étudiante qui m’a le plus impressionné par son courage et sa persévérance. Je lui lève mon chapeau, car elle a réussi l’an dernier à compléter sa thèse de doctorat en informatique cognitive – avec une mention d’excellence –, tout en prenant soin de ses trois enfants autistes», déclare le professeur du Département d’informatique Roger Nkambou qui, avec son collègue Pierre Poirier (philosophie), a supervisé la recherche d’Aydée Liza Mondragon.

«Mes trois enfants ont été ma source d’inspiration et de motivation pour entreprendre cette thèse, confie la diplômée. Sans eux, je n’y serais jamais parvenue.»

Dans le cadre de sa recherche doctorale, Aydée Liza Mondragon a mis au point un système tutoriel intelligent – Integrated Specialized Learning Application (ISLA) – afin d’aider les enfants autistes à contrôler leurs émotions dans un contexte d’apprentissage des mathématiques (opérations d’addition). Ce système vise à pallier le manque d’intervention personnalisée en éducation spécialisée, en particulier auprès des enfants ayant un trouble envahissant du développement.

Originaire de Colombie, la chercheuse est arrivée à Montréal à l’adolescence, il y a 30 ans. Des études de baccalauréat et de maîtrise à HEC Montréal, et à l’Université McGill, lui ont permis de développer une expertise en technologies de l’information et de la communication et de travailler en réingénierie des affaires dans le secteur de l’industrie alimentaire.

Trois diagnostics d’autisme

Une fois sa maîtrise terminée, Aydée Liza Mondragon apprend que son second fils, alors âgé de trois ans, est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Puis, sa fillette, âgée de deux ans, reçoit le même diagnostic. Trois ans plus tard, en 2010, c’est au tour de son fils aîné d’être diagnostiqué autiste. «Mon garçon me disait: Je ne comprends pas les mots, ça va trop vite. J’aimerais avoir le cerveau d’une tortue. J’éprouvais des sentiments d’échec et d’impuissance. Malgré tout, j’ai décidé de me battre pour l’éducation de mes enfants.»

La chercheuse inscrit son deuxième fils, plus sévèrement atteint, à un programme spécialisé de développement du langage ainsi qu’au programme ABA – Applied Behavorial Analysis. «Il avait un comportement souvent agité, tout en étant très sensible au bruit et à la lumière, note Aydée Liza Mondragon. À six ans, son vocabulaire en français était limité à 15 mots. Il a commencé à parler à l’âge de huit ans, mais en anglais seulement.»

En observant le comportement de son fils, la diplômée prend conscience qu’il peut communiquer visuellement, que son intelligence et sa mémoire sont visuelles. «J’ai utilisé mes connaissances en technologies pour développer une application informatique afin de l’aider à apprendre l’anglais au moyen d’images.»

Aydée Liza Mondragon décide par la suite de s’inscrire au Diplôme d’études supérieures spécialisées en intervention éducative auprès d’élèves ayant un trouble envahissant du développement, un programme offert par l’UQAM, avant d’entreprendre des études doctorales en informatique cognitive. «Je suis retournée à l’université, dit-elle, dans le but de mieux comprendre le phénomène de l’autisme et de développer des outils pour aider mes enfants.»

Un ami nommé Jessie

Le système tutoriel conçu par la chercheuse propose un modèle d’accompagnement qui tient compte du profil cognitif et émotionnel des enfants tout en les aidant à se concentrer durant leur apprentissage. «Le système ISLA est un jeu mathématique interactif, dit Aydée Liza Mondragon. Il comporte un avatar, nommé Jessie, qui parle avec l’enfant, le motive et l’encourage. Pour chaque bonne réponse, celui-ci gagne des points ou reçoit une récompense.»

«Le comportement de Jessie est basé sur les théories et les pratiques d’intervention auprès des enfants autistes, souligne Roger Nkambou. Il peut réagir adéquatement à l’état affectif de l’enfant en recueillant des données sur son expression faciale, son regard et ses gestes, et ainsi proposer des actions pédagogiques appropriées.» 

Le système a été testé auprès de deux groupes d’enfants autistes – garçons et filles – âgés de 6 à 12 ans et recrutés dans des centres d’intervention spécialisée. «Les enfants du premier groupe interagissaient avec Jessie, alors que ceux du second groupe n’avaient aucune interaction avec l’avatar. Ces derniers n’ont pu compléter le jeu, tandis que les autres ont obtenu de bons résultats», explique Aydée Liza Mondragon. «L’analyse statistique ne laisse planer aucun doute sur l’importance d’un compagnon comme Jessie dans un contexte d’apprentissage, dit Roger Nkambou. Le système permet d’offrir une attention particulière et un accompagnement individualisé aux enfants autistes.»

Perfectionner le système

En 2016, Aydée Liza Mondragon a fondé la compagnie Masesté Solutions afin de développer des technologies de pointe dans le domaine de l’éducation spécialisée. La commercialisation du système ISLA fait aussi partie des objectifs. 

La diplômée travaille à développer le prototype et à perfectionner l’avatar. «Liza a été sollicitée par des chercheurs en Caroline du Nord et à l’Université de Montréal, note Roger Nkambou. Elle envisage une deuxième expérimentation, déployée à une plus grande échelle, qui pourrait intéresser le ministère de l’Éducation.»

Aydée Lisa Mondragon est fière des progrès accomplis par ses enfants, qui ont tous intégré des classes régulières. «Mon fils aîné est maintenant en secondaire 4. Il a obtenu des notes de 98 % et de 95 % dans ses derniers examens de français et de mathématiques. Ma fille est en sixième année du primaire et parle le français, l’anglais et l’espagnol. Quant à mon second fils, son comportement s’est beaucoup amélioré. Le plus important, pour moi, est que mes enfants deviennent des êtres autonomes, capables de réaliser leur plein potentiel dans un domaine qu’ils auront choisi.»