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Protéger les tourbières

Les écosystèmes tourbeux représentent plus de la moitié du stock de carbone terrestre du Québec.

Par Claude Gauvreau

13 mars 2017 à 16 h 03

Mis à jour le 15 mars 2017 à 9 h 03

La professeure du Département de géographie Michelle Garneau participera au colloque international sur le carbone organique du sol, qui se déroulera au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à Rome, du 21 au 23 mars prochains. Elle y présentera les résultats d’une étude qui visait à quantifier et à cartographier les stocks de carbone terrestre dans les régions boréale et subarctique du Québec.

Réalisée en 2015 grâce à une aide financière du Fonds vert du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, l’étude révèle que 95% du carbone estimé dans les sols des écosystèmes tourbeux et forestiers du Québec est stocké sur le territoire situé au nord du 49e parallèle.

Les sols constituent le plus grand réservoir de carbone terrestre dans le monde. Quand ils sont gérés de manière durable, ils peuvent jouer un rôle important dans l’adaptation aux changements climatiques en séquestrant le carbone, contribuant ainsi à diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

La professeure Michelle Garneau.

L’étude réalisée par Michelle Garneau constitue le premier inventaire au Canada des stocks de carbone contenus dans les écosystèmes tourbeux et forestiers du nord du Québec. «Les forêts et particulièrement les tourbières représentent un immense puits de carbone, souligne la chercheuse, qui est membre du Centre de recherche en géophysique et en géodynamique (GEOTOP). Une meilleure connaissance de leur potentiel de stockage et de séquestration du carbone permettra de mieux évaluer leur capacité naturelle d’atténuer l’émission de CO2 dans l’atmosphère.»

Jusqu’à maintenant, on s’est beaucoup intéressé à la quantification des émissions de gaz à effet de serre causées par les activités anthropiques, mais le rôle des milieux naturels a été plutôt négligé, observe la professeure. «Le colloque international de la FAO se penchera justement sur la question de la conservation des milieux naturels et de leurs stocks de carbone pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.»

Masse élevée de carbone

Même si les tourbières occupent un moins grand territoire que les peuplements forestiers, elles contiennent plus de la moitié du stock de carbone terrestre au Québec. «La valeur moyenne de la masse de carbone des tourbières est neuf fois plus élevée que celle des forêts, note Michelle Garneau. Beaucoup moins affectées par les perturbations naturelles – feux, épidémies d’insectes –  que les forêts, les tourbières transforment, capturent et stockent des quantités plus importantes de carbone, notamment parce qu’une grande partie y est emmagasinée depuis plusieurs milliers d’années. Les tourbières sont des milieux humides, acides et saturés d’eau. Ces deux composantes font en sorte que la production de matière organique est plus importante que sa décomposition»   

Compte tenu de leur potentiel de séquestration du carbone plus grand que celui des forêts, les politiques gouvernementales d’aménagement du territoire doivent accorder une attention particulière aux tourbières, soutient la professeure.

Projections climatiques

Des projections climatiques sur l’ensemble du Québec ont été produites spécifiquement pour l’étude par le Consortium Ouranos sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques afin d’évaluer la vulnérabilité des stocks de carbone terrestre au changement climatique. Les résultats des projections montrent une tendance générale au réchauffement de l’ordre de 2 à 4o C pour la période 2041-2070 par rapport à la période 1971-1999. «Le réchauffement serait plus prononcé en hiver, de l’ordre de 3 à 7o C, alors qu’il serait autour de 1,5 à 3o C durant l’été, précise la chercheuse. Certaines variations régionales indiquent un réchauffement plus prononcé pendant l’été dans le sud du Québec et pendant l’hiver dans les régions nordiques.»

La vulnérabilité du stock de carbone des tourbières au réchauffement dépend du bilan des changements de la productivité végétale et de la décomposition de la matière organique, souligne Michelle Garneau. «L’augmentation de la température moyenne annuelle favoriserait une augmentation de la durée et de l’intensité de la saison de croissance, ce qui influencerait positivement la croissance végétale. Cependant, cette tendance serait renversée dans un contexte où le bilan hydrique – précipitations moins évapotranspiration –, tel que projeté pour le territoire au sud du 50e parallèle, serait négatif. Cela impliquerait un abaissement des nappes phréatiques, une décomposition accrue de la matière organique et, par conséquent, une augmentation des émissions de CO2 dans l’atmosphère.»

Au nord du 50e parallèle, le scénario pour la période 2041-2070 semble à la fois favorable et défavorable pour les tourbières. «Il est favorable quand on considère un allongement de la saison de croissance avec une augmentation des conditions d’humidité des sols, poursuit la chercheuse. Une augmentation de la séquestration du COa déjà été mesurée au cours de quelques saisons de croissance plus chaudes et plus humides dans le nord du Québec. Cependant, les hivers plus chauds et plus courts ont engendré une dégradation du pergélisol dans les tourbières, une tendance observée depuis quelques décennies dans le Québec nordique. Cela montre que ce ne sont pas tous les milieux humides qui émettront des quantités importantes de CO2 dans l’atmosphère en raison du réchauffement climatique.»

Des recommandations

Les politiques d’aménagement du territoire visant à atténuer le réchauffement climatique doivent s’appuyer sur les données scientifiques acquises sur le carbone des écosystèmes terrestres. C’est pourquoi Michelle Garneau recommande d’accroître les investissements dans la conservation, la réhabilitation et la gestion des tourbières, des forêts et des milieux humides afin de restreindre les émissions de gaz à effet de serre.

«Notre étude a porté sur une douzaine de régions, ce qui est déjà beaucoup, dit la chercheuse. Il faut continuer de parfaire les connaissances, de chiffrer la capacité des écosystèmes tourbeux et forestiers à séquestrer le carbone, pour permettre de mieux orienter les décisions et les politiques gouvernementales en lien avec la gestion du carbone terrestre et l’aménagement du territoire.» La professeure recommande donc d’améliorer la quantification des stocks de carbone des tourbières à partir d’une modélisation plus détaillée, en priorité dans les basses-terres de la Baie James et dans la partie septentrionale des basses-terres de l’Abitibi.

Michelle Garneau rappelle, par ailleurs, que les activités de drainage, de construction de routes et de remblaiement associées au développement industriel dans le nord du Québec risquent d’éliminer des superficies de tourbières et d’affecter leur intégrité écologique ainsi que leur fonction de séquestration du carbone.

«La conservation des puits de carbone terrestre doit être protégée par des conventions nationales et internationales, au même titre que la biodiversité, affirme la professeure. C’est une question de volonté politique. La balle est maintenant dans le camp des décideurs.»