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Célibat et tour de taille

Le statut conjugal influence le lien entre poids et santé mentale chez les hommes, révèle une étude.

Par Pierre-Etienne Caza

24 février 2017 à 14 h 02

Mis à jour le 24 février 2017 à 14 h 02

Photo: iStock

L’embonpoint rend-il les hommes heureux ? Certaines études réalisées dans les années 1970 et 1980 ont démontré que l’indice de masse corporelle (IMC) des hommes était inversement lié au risque de développer des problèmes de santé mentale tels que l’anxiété et la dépression. «Autrement dit, le risque diminuait à mesure qu’augmentait le tour de taille. C’est ce qu’on a appelé la “jolly fat” hypothesis», explique Sophie Meunier, professeure au Département de psychologie. Les études  qui ont tenté de reproduire ces résultats n’ont toutefois pas été concluantes, certains chercheurs invalidant même les conclusions de leurs prédécesseurs. «Lorsque des liens sont inconsistants entre deux variables, il faut se demander si une troisième variable entre en jeu, dans ce cas-ci le statut conjugal», poursuit la jeune chercheuse, qui a publié récemment les résultats de ses recherches dans la revue Obesity Research & Clinical Practice.

En collaboration avec plusieurs collègues, dont Francine de Montigny, professeure à l’UQO, Sophie Meunier s’est penché sur les liens entre l’IMC et la santé mentale positive. Elle a utilisé les données recueillies dans le cadre d’un projet de recherche sur la santé des hommes mené par sa collègue Janie Houle, pour laquelle elle était professionnelle de recherche avant d’obtenir un poste de professeure à l’UQAM, en juin dernier. Le projet, mené de 2012 à 2014 et financé par les IRSC, avait permis de recueillir des données de la part de 645 sujets masculins âgés entre 19 et 71 ans. «Nous avions leur taille et leur poids, ainsi que des mesures de santé mentale positive, c’est-à-dire de leur bien-être émotionnel (le sentiment d’être heureux et de vivre des émotions positives), psychologique (sentir que sa vie a un sens) et social (sentir qu’on appartient à une communauté et qu’on y contribue)», note la chercheuse.

Traditionnellement, la santé mentale est définie par l’absence de maladie – ne pas être en dépression ou ne pas ressentir  une anxiété trop envahissante, par exemple. «Or, la santé mentale, c’est plus que ça, explique Sophie Meunier. Le fait de ne pas avoir de problèmes de santé mentale indique qu’une personne est dans un état “neutre”, si on peut dire, mais, dans la vie, on veut éprouver du bien-être, d’où l’importance de mesurer la santé mentale positive.»

Une variable significative

De manière générale, les chercheurs ont d’abord observé que la santé mentale positive des participants ne variait pas significativement selon leur IMC. «Même si, selon certaines études, les hommes qui ont un IMC plus élevé seraient moins à risque de développer des problèmes de santé mentale, cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils éprouvent plus de bien-être émotionnel, psychologique ou social», précise la professeure.

Des études ont démontré par le passé que le fait d’être en couple était bénéfique pour la santé mentale et physique des hommes, tandis que d’autres ont relevé que les hommes en couple avaient une plus grande tendance à présenter des problèmes d’embonpoint et d’obésité. L’idée d’intégrer la variable du statut conjugal n’était donc pas anodine. «Le statut conjugal n’avait jamais été testé comme variable modératrice entre l’IMC et la santé mentale positive», souligne Sophie Meunier.

Sophie Meunier
Photo: Émilie Tournevache

Chez les hommes en couple, les résultats n’ont pas montré de différences significatives. En revanche, on a constaté que les hommes célibataires présentant un surpoids ressentaient davantage de bien-être émotionnel. «La majorité des hommes de notre échantillon se retrouvaient dans la catégorie “embonpoint”, révèle Sophie Meunier. Socialement, c’est un peu la norme que de faire un peu d’embonpoint chez les hommes, surtout passé 40-50 ans. Nous croyons que nos sujets dans cette catégorie se sentent dans la moyenne et qu’ils vivent bien avec leur état, émotionnellement parlant.»

L’IMC n’est pas une mesure parfaite, poursuit la chercheuse, car il ne tient pas compte de la musculature. «Plusieurs hommes qui font de la musculation se retrouvent dans la catégorie “surpoids”, sans faire de l’embonpoint pour autant. Cela pourrait également expliquer pourquoi nous observons un taux de bien-être émotionnel significatif dans cette catégorie.»

Pour leur part, les hommes célibataires qui se retrouvent dans la catégorie “obésité” vivent moins de bien-être psychologique et social. «Il y a encore une stigmatisation sociale très marquée envers l’obésité, note Sophie Meunier. Les hommes célibataires en situation d’obésité ne bénéficient pas du soutien d’une conjointe et peuvent avoir plus de difficultés à rencontrer une partenaire, étant donné la stigmatisation entourant le phénomène. Leur estime de soi peut aussi être affectée et cela explique probablement une partie de nos résultats.»

Une approche selon le poids… et le statut conjugal

Les chercheurs concluent leur étude en recommandant aux professionnels de la santé de traiter chaque catégorie de poids de manière différente. «Surpoids et obésité n’ont pas le même impact sur la santé mentale positive, du moins chez les hommes célibataires, résume Sophie Meunier. D’où l’importance de s’attarder au statut conjugal.»

La chercheuse présentera les résultats de cette étude lors du Congrès de l’International Positive Psychology Association, qui aura lieu à Montréal du 13 au 16 juillet prochain.