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Des hommes en crise?

Stéfany Boisvert analyse l’ambivalence des modèles masculins à la télé.

Série

Doc en poche

Par Claude Gauvreau

20 février 2018 à 13 h 02

Mis à jour le 9 septembre 2020 à 9 h 09

Série Doc en poche
Armés de leur doctorat, les diplômés de l’UQAM sont des vecteurs de changement dans leur domaine respectif.

Enjeu social: les identités de genre à la télé

Objet de fascination et objet d’étude, la série télévisée serait devenue l’une des formes narratives qui témoigne le mieux notre époque. «Sous l’impulsion des mouvements féministe et LGBTQ, qui remettent en cause les modèles de genre traditionnels, plusieurs créateurs télé essaient de tenir compte de ces tendances sociales en valorisant davantage la sensibilité et l’émotivité masculines dans les fictions télévisuelles», souligne la diplômée en communication Stéfany Boisvert, chargée de cours à l’École des médias.

Dans le cadre de sa thèse, celle qui est aussi chercheuse postdoctorale à l’Université McGill s’est intéressée à la représentation des personnages masculins et aux modèles de masculinité véhiculés dans 30 séries télévisées nord-américaines depuis 2005. Elle a analysé plus spécifiquement six téléséries québécoises, canadienne-anglaises et américaines, dont 19-2 et son adaptation anglophone Nineteen-two ainsi que Breaking Bad comptent parmi les plus connues. Son étude révèle une volonté de déconstruire certaines caractéristiques du modèle masculin hégémonique.

«Le recours fréquent à des personnages masculins traversant une crise morale ou professionnelle ainsi qu’à des procédés narratifs et stylistiques tels que les monologues, les flashbacks ou les gros plans sur les visages favorise la focalisation sur la vie intérieure et l’expression des émotions, et témoigne d’une préoccupation pour la transformation des identités de genre», soutient Stéfany Boisvert.   

Mais cette présentation de personnages d’hommes affichant leur part d’ombre, leurs faiblesses et leurs doutes, qu’ils soient publicitaire (Mad Men), policier (19-2) ou prof de chimie (Breaking Bad), est teintée d’ambivalence, selon la jeune chercheuse. «En montrant leurs difficultés personnelles et relationnelles, plusieurs productions télévisuelles, en particulier sur les chaînes généralistes, ont tendance à endosser le discours conservateur sur l’hypothétique crise de la masculinité, comme si le fait d’afficher leur vulnérabilité rendait les hommes plus malheureux ou plus tourmentés, comme si les hommes étaient les grands perdants des transformations sociales des dernières décennies en matière d’identité sexuelle et de genre.»  

Ce qu’il faut changer

Stéfany Boisvert reconnaît l’existence d’une plus grande diversité de genre, d’orientation sexuelle, d’âge, de classe et ethnique dans les fictions télévisuelles, mais celle-ci, affirme-t-elle, s’accompagne encore d’une hiérarchisation des modèles, laquelle ne permet pas de déconstruire les normes de genre hétéronormatives. «Quand vient le temps de distribuer les rôles, on observe, dans la très grande majorité des cas, que le personnage principal est celui d’un homme blanc hétérosexuel, comme si les créateurs se disaient qu’il s’agit tout de même du modèle le plus “normal”, le plus familier pour le grand public. Il faut oser aller plus loin.»

C’est aux États-Unis que l’on trouve le plus grand nombre  de séries télé présentant des personnages importants associés à la communauté LGBTQ. Les séries qui en présentent, toutefois, sont généralement diffusées par des chaînes câblées qui s’adressent à des publics plus restreints. «La multiplication des chaînes et plateformes de visionnement a certes permis une plus grande diversité de personnages dans les fictions télévisuelles, dit la chercheuse. Cependant, les chaînes généralistes, qui cherchent à attirer le plus grand nombre possible d’auditeurs, ont tendance à offrir des séries moins audacieuses, contribuant ainsi au maintien des normes de genre.»