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Combattre les fake news

Trois équipes de chercheurs organisent une école d’été sur le phénomène des fausses informations.

Par Claude Gauvreau

19 juin 2018 à 16 h 06

Mis à jour le 20 juin 2018 à 13 h 06

Internet est devenu un vecteur idéal pour les fake news, avec des plateformes comme Google News, Facebook ou Twitter qui contribuent à la circulation d’informations trompeuses.

Le 15 juin dernier, une information annonçant la fin de la coalition gouvernementale d’Angela Merkel s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux et sur des sites de médias renommés, semant un début de panique. Présentée comme si elle émanait du compte Twitter d’une chaîne publique allemande, cette fake news s’est avérée être un canular d’un magazine satirique.

L’expression fake news a commencé à circuler dans les années 1990 pour désigner des nouvelles douteuses, souvent sensationnelles, déguisées en informations d’intérêt. Le président américain Donald Trump a d’ailleurs repris cette formule dans son discours anti-médias, tout en étant lui-même un producteur de fausses nouvelles. Le 15 novembre dernier, une équipe de vérificateurs de faits du Washington Post avait relevé 1 628 allégations présidentielles fausses ou trompeuses, pour une moyenne de 6 par jour.

Qu’est-ce qui favorise la production et la circulation de fausses informations? Quelles sont leurs caractéristiques? Peut-on se prémunir contre elles? Ces questions seront débattues à l’École d’été S’informer dans un monde de fausses informations: produire et interpréter des contenus dans le nouvel écosystème informationnel, qui se déroulera à l’UQAM du 26 au 28 juin prochains. Organisé conjointement par le Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté), le Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO) et la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socioculturels du numérique en éducation, l’événement réunira une cinquantaine de chercheurs québécois et français ainsi que des professionnels de l’information.  

«La désinformation n’est pas un phénomène nouveau, souligne Alexandre Coutant, professeur au Département de communication sociale et publique et directeur de ComSanté. La propagande a, de tout temps, fabriqué de fausses informations pour discréditer des adversaires idéologiques ou politiques. Lors de la dernière campagne présidentielle aux États-Unis, on a vu des groupes organisés diffuser des informations fausses ou douteuses en vue de saper la confiance à l’égard du Parti démocrate ou du Parti républicain.» Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’ampleur et la vitesse avec laquelle ces informations se répandent, grâce aux médias numériques. Internet est devenu  un vecteur idéal pour les fake news, avec des plateformes comme Google News, Facebook ou Twitter qui contribuent à la circulation d’informations trompeuses. «La présence accrue des fausses nouvelles et leurs impacts dans le débat public reposent sur des logiques de visibilité inédites et encore mal comprises», note le chercheur.

La première journée de l’École d’été abordera les définitions des fausses informations, les mécanismes de leur diffusion et le contexte sociotechnique de leur succès. La seconde sera axée sur les littératies nécessaires pour s’informer et produire des informations, alors que la troisième proposera des échanges entre les participants sur les enjeux principaux soulevés par les fausses informations.

La propagation des fake news

Alexandre Coutant reconnaît qu’il est difficile de quantifier le phénomène des fake news, d’autant plus qu’il n’y a pas de consensus sur sa définition. Une information peut être dépourvue d’élément vérifiable sans être fausse pour autant. D’autres peuvent être jugées vraisemblables sans pour autant être vraies. Enfin, des fake news sont parfois fausses, alors que d’autres sont insignifiantes ou détournent d’autres informations plus importantes. Bref, rien n’est simple.

Les fausses informations peuvent être propagées dans des buts différents, dit le professeur. «Certaines ont pour objectif de tromper le public ou d’influencer son opinion sur un sujet particulier. D’autres sont fabriquées de toutes pièces et coiffées d’un titre accrocheur pour densifier le trafic et augmenter le nombre de visiteurs sur un site de nouvelles.»

Ce qui est aussi en jeu avec les fake news, c’est l’interprétation des faits, ou ce qu’on appelle la vérité factuelle, dit Alexandre Coutant. «Prenons l’exemple des chiffres sur le chômage dans différents pays. Le FMI, la Banque mondiale et les instituts de statistiques nationaux n’utilisent pas les mêmes définitions, qu’il s’agisse du chômage partiel ou de longue durée. À l’École d’été, nous nous pencherons sur la notion de vérité factuelle et sur les éléments permettant l’interprétation des faits.»

Des critères de véracité

Plusieurs questions doivent être soulevées afin d’établir la véracité d’une information. Les sources d’une nouvelle sont-elles crédibles ou fiables? Ont-elles un intérêt dans la propagation de cette information? «On ne peut pas toujours savoir avec certitude si telle information est véridique ou non, mais l’important est de se donner des critères de véracité, souligne le chercheur. Est-ce que tel site de nouvelle ou tel média cite ses sources, fournit des références ou donne des indices permettant de vérifier certaines affirmations? Si ce n’est pas le cas, la prudence sera de mise.»

On peut s’inspirer des scientifiques, dont la démarche repose, entre autres, sur la transparence et la possibilité de vérifier leurs affirmations, croit Alexandre Coutant. «En ce qui concerne les contenus d’information, il faut aussi s’interroger sur leur processus de production.»

Cela dit, il y aura toujours des gens qui partiront du principe que les journalistes ne sont pas dignes de confiance, même quand leurs informations sont rigoureuses et fondées sur des faits vérifiables. «La circulation de fausses informations a pour conséquence que le public se met à douter de tout ce qui circule et à développer une méfiance à l’égard des professionnels de l’information», observe le chercheur.

Encadrement légal?

Pour se prémunir contre les fausses informations, certains préconisent la voie de l’encadrement légal. En France, par exemple, l’Assemblée nationale vient de reporter en juillet l’adoption d’un projet de loi controversé relatif à la manipulation de l’information. «C’est une approche dangereuse parce qu’elle ouvre la porte aux abus en tout genre et aux tentatives de musellement de l’information, soutient Alexandre Coutant. Pour contrer les fake news, la meilleure voie à suivre est celle de l’éducation.»

L’École d’été s’intéressera justement à l’importance d’acquérir des compétences en littératie numérique. «Auparavant, on faisait de l’éducation aux médias en aidant les gens à chercher les bonnes informations, sérieuses et pertinentes, rappelle le professeur. Aujourd’hui, il est important de développer sa pensée critique. Les jeunes, en particulier, doivent apprendre à débusquer les nouvelles fausses ou trompeuses qui fourmillent en ligne et à reconnaître une information indépendante et de qualité. Plus on leur permettra de comprendre tôt les enjeux de l’information dans une société démocratique, plus il y aura de chances qu’ils développent un esprit critique et deviennent des citoyens éclairés.»