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Arrimer progrès social et mondialisation

Le CÉIM organise un colloque international sur le commerce socialement responsable.

Par Claude Gauvreau

19 février 2019 à 15 h 02

Mis à jour le 21 février 2019 à 11 h 02

Des dispositions dans des accords commerciaux visent à conditionner l’ouverture d’un marché au respect de la liberté d’association, du droit de négociation collective et de l’élimination des formes de travail forcé.Photo: Getty/Images

Est-il possible d’arrimer progrès social et mondialisation? Peut-on rendre les accords commerciaux plus sensibles aux préoccupations sociales des populations? Ces questions seront au programme du colloque international «Politique commerciale socialement responsable au Canada et ailleurs dans le monde», qui se tiendra à Montréal les 27 et 28 février prochains. Organisé par le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CÉIM), l’événement réunira des chercheurs, des représentants d’organisations de la société civile et des responsables économiques et politiques provenant du Canada, des États-Unis, d’Europe et d’Asie.

«Les débats porteront sur les moyens d’assurer le respect de droits sociaux dans le cadre de la mondialisation, en particulier dans les accords commerciaux», souligne le chargé de cours du Département de science politique Sylvain Zini, co-responsable du colloque et membre du CÉIM. On se rappellera que le CÉIM avait mené une recherche et une consultation pancanadienne sur la politique commerciale socialement responsable du Canada en 2017 et 2018.

Depuis la conclusion de l’Accord de libre échange nord-américain (ALÉNA) en 1994, des mécanismes visant à relier le commerce à des enjeux sociaux, notamment les normes internationales du travail et l’environnement, ont été mis en place par certains pays. «Au Canada, le gouvernement Trudeau a cherché à renforcer ces mécanismes et à les élargir à d’autres thématiques, comme celles de l’égalité des genres et des droits des peuples autochtones, observe le chercheur. En d’autres termes, le commerce est de plus en plus perçu, à juste titre, comme une activité ayant des conséquences sociales.»

Dans le cadre du colloque, le CÉIM organisera une conférence et une table ronde afin de  souligner le centenaire de l’Organisation internationale du travail (OIT), une agence de l’ONU qui établit des normes internationales, élabore des politiques et conçoit des programmes visant à promouvoir le travail décent pour les hommes et les femmes partout dans le monde. Il sera question du rôle de l’OIT dans la gouvernance globale du travail, dans la transition numérique et dans le développement de l’intelligence artificielle.

Clauses sociales

Le premier axe du colloque portera sur les clauses sociales des accords commerciaux, comme ceux conclus par le Canada, les États-Unis et les pays de l’Union européenne (UE). Ces clauses incluent des chapitres sur le travail et aussi d’autres enjeux, tel que celui de l’environnement. Elles renvoient à des dispositions visant, par exemple, à conditionner l’ouverture d’un marché à la mise en œuvre et au respect des normes internationales du travail: liberté d’association, droit de négociation collective, élimination des formes de travail forcé et de la discrimination en matière d’emploi, abolition des pires formes de travail des enfants.

Mais comment s’assurer que les pays signataires des accords respectent leurs engagements et que les normes internationales sur les droits fondamentaux des travailleurs soient appliquées? «Si un pays ne respecte pas ses engagements relatifs au chapitre sur le travail, des organisations de la société civile peuvent recourir à un système de pétition pour exposer le problème, favorisant ainsi l’enclenchement d’un processus de conciliation et d’arbitrage entre les pays concernés», note Sylvain Zini. Ces procédures, toutefois, s’avèrent longues et il est rare que des sanctions soient appliquées. «N’empêche, dit le chargé de cours, les chapitres sur le travail ont tout de même incité des pays à modifier leur comportement et leur législation, et à mettre en place un régime d’inspection du travail.»

Les clauses sociales liées aux accords de libre-échange se divisent en deux grandes catégories: l’approche promotionnelle et l’approche conditionnelle. La première, adoptée notamment par l’Union européenne, est fondée sur  la coopération et l’arbitrage pour faire respecter les droits des travailleurs et les conventions de l’OIT, plutôt que sur un mécanisme de sanction. La seconde est conforme au modèle nord-américain (États-Unis et Canada) dans lequel le non respect des clauses entraîne des conséquences plus fortes, notamment le recours à des sanctions commerciales et financières afin d’honorer les obligations vis-à-vis des droits des travailleurs. Le colloque permettra de se pencher sur les apports et les limites des deux modèles.

Système de préférences

Le deuxième axe du colloque sera consacré à la question du système généralisé des préférences (SGP), lequel consiste à offrir des grilles préférentielles de tarifs douaniers aux pays en développement, ainsi qu’aux lois interdisant les importations de marchandises qui incorporent du travail forcé. «Depuis 1984, les États-Unis ont rendu l’accès à leur SGP conditionnel au respect des droits des travailleurs reconnus internationalement, rappelle le chercheur. Quant à l’Union européenne, elle a instauré en 1998 un SGP à deux vitesses: des baisses de tarifs douaniers pour tous les pays en développement et des baisses plus importantes encore pour les pays qui respectent les droits fondamentaux des travailleurs, tels que définis par l’OIT.

Est-ce que les tous les accords commerciaux, qu’il s’agisse de l’Accord États-Unis-Canada-Mexique ou du Partenariat transpacifique, se valent en matière de progrès social? «Dans un contexte de  mobilisation des organisations de la société civile en faveur des droits sociaux, les modèles sont  devenus  plus exigeants, surtout en ce qui concerne les leviers visant à faire respecter ces droits, observe Sylvain Zini. Ceux qui conçoivent les politiques commerciales sont conscients de la méfiance des populations à l’égard de la mondialisation et de ses impacts politiques, électoraux notamment, d’où l’idée d’avoir des mécanismes plus contraignants pour limiter les effets négatifs de ladite mondialisation.»

Le rôle de l’OIT

Les participants au colloque discuteront de l’influence exercée par l’OIT  sur la gouvernance globale du travail. Après avoir connu une période difficile au tournant des années 1990, l’OIT a cherché à participer à la définition des règles sociales de la mondialisation. «L’OIT demeure le référent en matière de droit international du travail et joue un rôle important pour en définir les normes, affirme le chercheur. Elle est aussi très active dans le domaine de la coopération internationale et aide les pays en développement dans l’élaboration de codes du travail et dans la mise en œuvre d’un régime d’inspection du travail.»

Sylvain Zini croit que les chapitres des accords commerciaux traitant des questions sociales ainsi que l’introduction d’obligations en matière de travail dans les systèmes généralisés des préférences et l’interdiction des importations incorporant du travail forcé constituent des pistes intéressantes pour fonder une politique commerciale socialement responsable. «Nous sommes aujourd’hui confrontés à une alternative: soit les gouvernements utilisent les outils à leur disposition pour assurer un meilleur respect des droits sociaux, soit ils donnent primauté aux intérêts exclusivement commerciaux, remarque le chargé de cours. S’ils choisissent le deuxième option, la mondialisation pourrait être remise en question de façon encore plus virulente qu’elle ne l’est aujourd’hui.»