Voir plus
Voir moins

Créer son jardin tactile

Le psychologue et art-thérapeute Pierre Plante propose à ses étudiantes d’explorer leur potentiel créateur par la sculpture et le dessin.

Série

En classe!

Par Valérie Martin

26 novembre 2019 à 16 h 11

Mis à jour le 2 juin 2022 à 15 h 12

«Laissez vos doigts faire ce qu’ils ont envie de faire», guide le professeur du Département de psychologie Pierre Plante (Ph.D. psychologie, 2005) à la quinzaine d’étudiantes (et à l’étudiant!) présentes lors de la séance spéciale du cours-atelier Individu créateur et entraînement à la créativité. Le cours, qui permet aux étudiants du baccalauréat en psychologie de découvrir leur potentiel créateur, est donné dans un atelier d’art situé au rez-de-chaussée du pavillon Judith-Jasmin.

Pendant une heure, les étudiantes auront les yeux bandés et, pour tout matériel un bloc d’argile, une planche en bois et un contenant d’eau. «N’essayez pas de faire de l’art figuratif, les avertit le professeur, qui est aussi psychologue et art-thérapeute. Ce n’est pas un cours de sculpture, mais d’exploration de la matière. L’exercice d’aujourd’hui consiste à créer, avec l’argile, son propre jardin tactile. Et, croyez-moi, vous n’avez pas besoin de prendre de drogues pour expérimenter!» Les yeux prennent trop de place et sont un frein à la créativité, poursuit le professeur. «En enlevant la vision, on cherche moins à faire du beau, on se concentre sur autre chose…»

L’atelier a été mis sur pied par le professeur René Bernèche, aujourd’hui retraité du Département de psychologie, et enrichi par Pierre Plante, qui a ajouté des éléments à l’exercice.

Un exercice méditatif

Pour l’occasion, les lumières de la salle ont été tamisées. Les étudiantes se mettent à pétrir, à arracher ou à façonner des segments d’argile. Les gestes sont lents, doux, ou parfois rapides, précis. Des étudiantes sont debout, écoutent de la musique dans leurs écouteurs, dansent, ou sourient. Certaines semblent méditer ou roulent dans leurs doigts de petits morceaux d’argile à quelques centimètres à peine de leur visage comme pour mieux en sentir la forme. D’autres participantes rejettent les épaules en arrière tout en tenant leur boule d’argile à bout de bras.

Les jardins prennent forme petit à petit : une vallée de champignons, un château, une couronne, une maison, une ville, une pieuvre, des structures labyrinthiques, des créatures monstrueuses… «Vous êtes dans un lieu pour vous reposer et avoir du plaisir, rappelle le professeur. Vous créez un espace où vos doigts sont biens.»

Clac! Clac! Clac! Le silence est rompu pendant de longues minutes: une des étudiantes se met à piocher avec ses mains sur l’argile afin de pouvoir mieux l’étendre sur le bureau.

Calme et bienveillant, le professeur se promène au milieu de la classe tout en veillant au bon déroulement de l’activité. Il informe les étudiantes du temps écoulé tout en volant au secours de celles qui ont besoin d’aide pour replacer leur bandeau ou ajouter de l’eau dans le contenant pourvu à cet effet.

Lorsque la séance de création prend fin, le professeur invite les étudiantes, toujours privées de repère visuel, à circuler d’une table à l’autre pour prendre connaissance du travail de leurs collègues. «Chaque jardin visité est comme un voyage différent, vous faites un tour du monde, précise Pierre Plante. Au toucher, certaines œuvres vous interpelleront plus que d’autres et évoqueront des images, c’est ce que vous mettrez en dessin.»

Les mains explorent et parcourent les sculptures-jardins avec beaucoup de soin. Ou s’arrêtent les œuvres et où commencent-elles? Y a-t-il des formes plus apaisantes que d’autres, ou, au contraire, plus effrayantes? «Certaines œuvres sont fragiles et doivent être manipulées avec précaution», les avertit le professeur en replaçant les éléments d’une sculpture déplacés par les visiteuses. «Et n’oubliez pas les endroits secrets!»

Une étudiante s’approche d’une œuvre. «Ben voyons donc!», lance-t-elle à voix haute. «C’est comme une expérience sexuelle», pouffe une autre. Une jeune femme, non loin de là, grimace de dégoût. La sculpture-jardin qu’elle manipule, avec sa surface lisse et ses nombreux cratères inondés, ne laisse personne indifférent!

Comme des enfants

Le deuxième exercice est terminé. Les étudiantes peuvent enfin retirer leurs bandeaux et quitter la classe. Matériel à dessin sous le bras, elles s’installent sur les tables et les chaises disposées dans le corridor du pavillon Judith-Jasmin. Leur consigne: dessiner les œuvres qu’elles ont manipulées.

À l’aise, elles discutent de tout et de rien, tout en dessinant avec leurs pastels. Leur enthousiasme est contagieux. Les dessins prennent vie: des algues, un manège, un château, un animal en forêt, une couronne (tiens donc!), une femme face à son miroir… De retour en classe, elles découvrent avec amusement les sculptures-jardins. À des lieux de ce qu’elles avaient imaginé!

Les dessins sont affichés au mur et les étudiantes sont invitées à les décrire et à partager leurs expériences. Gabrielle Veilleux a eu l’impression plutôt agréable d’effleurer des algues et des coraux, tandis que pour Queeny Pognon, l’expérience, quoique intéressante, s’est révélée plus éprouvante: «Je voyais des monstres, un scénario de fin du monde… J’avais peur!» Marianne Bordeleau confie qu’une des œuvres lui a donné le tournis. «J’imaginais des cerceaux qui tournaient, tournaient…» Bouchera Belhadj parle d’une rencontre plus authentique avec l’autre, une forme de mise à nu. «Il y avait plein de petites boules partout. C’est comme si la personne face à moi avait vomi tous ces trucs et dit “voilà, bang! c’est moi!”»

Retour sur l’atelier

Les participantes ont adoré l’expérience. Elles ont pu exprimer librement leur créativité et leurs émotions, sans jugement de leurs pairs ou sans avoir ressenti le besoin de performer. «Nous avons aussi compris pourquoi nous n’avions pas besoin de drogues!», disent-elles à la blague.

En tant qu’ancienne massothérapeute, une des étudiantes a pu reconnecter avec son sens du toucher lors de l’exercice. «Même si la matière ne me parlait pas ou ne me donnait pas de feedback!», dit-elle. Bouchera Belhadj a retenu la beauté des images. «Dans ma tête, ce que j’ai vu, c’était beau, c’était vivant. Quand je regarde les œuvres avec mes yeux, elles ne sont pas aussi belles que ce que j’avais imaginé, c’est vrai, mais je les aime quand même!»

L’expérience sensorielle peut aussi générer des images, souligne le professeur. «Au quotidien, nous n’avons pas toujours l’occasion de pouvoir toucher. Dans les musées, par exemple, nous pouvons seulement regarder les sculptures, alors qu’il serait intéressant de les toucher. Nous nous privons ainsi de plusieurs sensations.»

Avant de quitter l’atelier, les étudiantes doivent ranger leur matériel et découper leurs sculptures-jardins en petits morceaux, avant de les jeter dans le bac à rangement. «Ça fait partie de la catharsis!», lance le professeur en souriant.

Cet atelier est offert à toutes sortes de clientèles aux quatre coins du monde. Récemment, Pierre Plante s’est rendu au Japon et en Thaïlande pour le donner.