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Poissons, grenouilles et tortues

Les étudiants du bac en biologie en apprentissage par problèmes s’intéressent à la transition entre vie aquatique et vie terrestre.

Série

En classe!

Par Pierre-Etienne Caza

19 février 2019 à 16 h 02

Mis à jour le 2 juin 2022 à 21 h 06

En ce matin de février, une trentaine d’étudiants de première année du baccalauréat en biologie en apprentissage par problèmes sont réunis dans le laboratoire du professeur du Département des sciences biologiques Tim Work, dans le cadre du cours Diversité animale. «Nous nous pencherons aujourd’hui sur la transition entre la vie aquatique et la vie terrestre, lance le professeur. Je vous propose donc un premier exercice sur les adaptations structurelles et fonctionnelles des poissons, des amphibiens et des reptiles. Comme à l’habitude, je vous invite à formuler vos hypothèses et à utiliser le matériel à votre disposition pour les tester. Le second exercice en est un de conservation: vous devrez choisir pour le compte d’un promoteur immobilier le site qu’il devrait privilégier en fonction de la présence ou non d’espèces menacées ou vulnérables. C’est bon? Je vous revois cet après-midi!»

À peine Tim Work a-t-il quitté le local (il donne un autre cours pendant la même plage-horaire) que ses deux auxiliaires d’enseignement, le doctorant en biologie Louis Astorg et le candidat à la maîtrise Samuel Gladu (B.Sc. biologie en apprentissage par problèmes, 2018), prennent la relève avec brio.

Leur rôle est d’accompagner les étudiants pendant les deux mises en situation. Pour la première, les étudiants doivent élaborer un cours de niveau cégep comparant les caractéristiques des systèmes respiratoire, reproducteur, excréteur et musculaire/squelettique des poissons sarcoptérygiens, des grenouilles et des tortues de terre. Pour la deuxième mise en situation, ils doivent identifier correctement les espèces recensées sur trois sites de construction potentiels, déterminer leur statut (vulnérable, menacée, susceptible d’être désignée comme menacée ou vulnérable ou d’aucune préoccupation), puis conseiller le promoteur dans le choix du site de construction ayant l’impact environnemental le moins élevé pour les populations d’amphibiens et de reptiles qui s’y trouvent. «Les étudiants devront consulter le site du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) pour déterminer le statut de ces espèces, qui se retrouvent toutes dans le sud du Québec», indique Samuel Gladu.

L’apprentissage par problèmes

En équipe de trois ou quatre, les étudiants amorcent le travail. Les deux auxiliaires d’enseignement passent de groupe en groupe afin de s’assurer que le travail progresse rondement et que tous les éléments essentiels sont couverts. Ils soulèvent des questions et ne répondent jamais directement aux interrogations des étudiants. «C’est un défi de ne pas leur fournir les réponses, mais c’est ce qui fait la force de l’apprentissage par problèmes, souligne Louis Astorg. Nous les encadrons pour qu’ils émettent des hypothèses et proposent des solutions, qu’ils partageront ensuite avec leurs pairs lors de la plénière. Ce sera alors le bon moment pour recadrer, si nécessaire, certaines notions.»

En équipe de trois ou quatre, les étudiants amorcent le travail.
Photo: Nathalie St-Pierre

«La formule de l’APP développe le sens de la débrouillardise et instaure un climat de camaraderie qui permet de tisser des liens pouvant perdurer au-delà de l’université», observe le technicien de laboratoire et chargé de cours Daniel Rivest (B.Sc. biologie, 1981; M.Sc. biologie, 1985). C’est lui qui, plus tôt ce matin, a soigneusement préparé les fiches descriptives et disposé dans divers récipients la quinzaine de spécimens de salamandres, de couleuvres, de grenouilles et de tortues qui occupent les étudiants aujourd’hui. Une fois le travail accompli pour la première mise en situation, quelques étudiants se lèvent pour consulter les fiches et observer les spécimens, puis prennent des notes et des photos afin de comparer le tout avec le site du MFFP.

La passion n’a pas d’âge!

Richard LafondPhoto: Nathalie St-Pierre

Avant le début du cours, nous avons fait connaissance avec l’aîné de cette nouvelle cohorte. Après une carrière en comptabilité, dont une vingtaine d’années passées en Afrique, Richard Lafond a décidé d’entreprendre des études en biologie. «Je souhaite mettre sur pied un élevage de grenouilles, explique ce dernier. Or, pour cela, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation exige que je possède une formation scientifique.»

Même si plusieurs générations le séparent de ses collègues, Richard Lafond est comme un poisson dans l’eau au sein de la cohorte. «Il est passionné, curieux et il adore partager ses connaissances avec les autres étudiants, qui aiment eux aussi travailler avec lui, constate Daniel Rivest. Ce n’est pas donné à tout le monde de revenir aux études dans un programme aussi exigeant et de s’y acclimater comme il le fait. C’est beau à voir!»

Vers 10 h 15, deux étudiants rapportent à leur équipe un spécimen de grenouille léopard, préservé dans la formaline, et un spécimen de tortue à oreilles rouges. Ils souhaitent pratiquer des dissections, non obligatoires dans le cadre du cours, afin de mieux comprendre les systèmes respiratoire et reproducteur des amphibiens et des reptiles. Les étudiants partagent leurs trouvailles sur un fichier numérique commun et se préparent pour les présentations, qui auront lieu après l’heure du lunch.

L’heure de la plénière

Tel que convenu, Tim Work est de retour en classe en début d’après-midi. Un tirage au sort détermine le sujet qu’abordera chaque équipe. La première présente les différences au niveau du système respiratoire entre les poissons sarcoptérygiens (branchies), les grenouilles (poumons et vaisseaux sanguins) et les tortues de terre (poumons). Le professeur et ses deux auxiliaires demandent des précisions sur certains aspects, corrigent au besoin certaines notions mal comprises, et soulèvent des questions pour l’ensemble du groupe.

Présentation du système musculaire/squelettique des grenouilles avec le squelette sous verre d’un ouaouaron.Photo: Nathalie St-Pierre

La deuxième équipe présente les différences à propos du système musculaire/squelettique, notamment l’apparition des quatre pattes permettant à certains amphibiens et reptiles de se déplacer sur la surface terrestre. «À quoi servent d’aussi longues pattes arrières?», demande Tim Work, se référant au squelette sous verre d’un ouaouaron. «C’est un trait d’évolution qui leur permet de bondir», répond un étudiant. «Exact!», confirme le professeur, qui attire ensuite l’attention sur le bout des orteils et des doigts de l’amphibien. «Cela ressemble à  des petites griffes qui permettent de mieux s’ancrer au sol et de générer plus de puissance pour bondir. D’autres espèces possèdent plutôt des ventouses qui leur permettent de mieux adhérer aux surfaces sur lesquelles elles sautent.»

La mâchoire de la tortue suscite par la suite quelques échanges sur le développement du système musculaire permettant une grande force de morsure. «Plus la tête est grosse, plus les muscles permettant d’activer la mâchoire supérieure peuvent être développés et puissants», souligne Louis Astorg. «Et lorsque le museau et la gueule sont allongés, comme dans le cas du crocodile, cela génère une puissance de morsure sans pareille», ajoute Tim Work.

«J’aime les technologies, mais la plupart du temps je travaille avec des filets, des chaudières et des jumelles, mes bottes de caoutchouc aux pieds. C’est fou l’information que l’on peut recueillir juste avec nos yeux et une bonne capacité d’analyse!»

Tim Work

Professeur au Département des sciences biologiques

L’équipe chargée de présenter le système reproducteur explique les différences entre la fécondation externe des poissons sarcoptérygiens et des grenouilles (les femelles expulsent leurs oeufs dans l’eau et les mâles répandent leur semence sur ces derniers) et la fécondation interne des tortues de terre, le premier animal terrestre doté d’un pénis, apprend-t-on.

La quatrième équipe se charge du système excréteur. «Les poissons éliminent leurs déchets azotés sous forme d’ammoniaque, les grenouilles, sous forme d’urée, et les tortues de terre, sous forme d’acide urique», expliquent les étudiants.

Les espèces menacées et vulnérables

Une dernière équipe vient présenter les résultats de son travail d’identification concernant les espèces recensées sur les trois sites de construction. Après que les deux étudiantes aient défini ce que la loi entend par «espèce menacée» et «espèce vulnérable», Tim Work leur demande si le statut légal d’une espèce est basée sur la taille de la population ou sur sa capacité (ou non) à se reproduire. Les étudiantes indiquent qu’à leur avis, c’est la taille de la population qui influence la prise de décision du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. «Exact!», confirme le professeur.

Les étudiantes font ensuite défiler les images des espèces retrouvées sur les sites de construction, en prenant soin d’identifier chacune par son nom et d’indiquer si elle est vulnérable ou menacée. Quatre espèces sont vulnérables – la couleuvre tachetée, la rainette faux-grillon de l’Ouest, la tortue géographique et la tortue des bois –, tandis que deux sont menacées – la tortue molle à épines et la tortue musquée. «Nous recommandons le lot de construction numéro 2, car c’est là  que l’on retrouve le moins d’espèces menacées ou vulnérables», indique l’une des étudiantes.

Les étudiantes font défiler les images des espèces retrouvées sur les sites de construction, en prenant soin d’identifier chacune par son nom et d’indiquer si elle est vulnérable ou menacée.
Photo: Nathalie St-Pierre

«Vous avez travaillé sur un cas réel, survenu il y a quelques années sur la rive sud de Montréal, leur dévoile alors Samuel Gladu. Sur le lot numéro 1, les biologistes ont non seulement trouvé et identifié des rainettes faux-grillons de l’Ouest, comme vous l’avez fait, mais aussi un site de nidification. Il fallait donc privilégier les lots numéro 2 ou 3. Vous avez réussi à poser un bon diagnostic!» La rainette faux-grillon de l’Ouest, ajoute Tim Work, est une espèce qui se retrouve au cœur de plusieurs développements immobiliers dans la grande région de Montréal.

Le travail de biologiste

Comme dans plusieurs autres domaines, les nouvelles technologies – drones, appareils de télédétection par laser – sont à la mode en biologie. «J’aime les technologies, mais la plupart du temps je travaille avec des filets, des chaudières et des jumelles, mes bottes de caoutchouc aux pieds, souligne Tim Work à l’intention de ses étudiants. C’est fou l’information que l’on peut recueillir juste avec nos yeux et une bonne capacité d’analyse!»

Lors des présentations, le professeur Tim Work et ses auxiliaires demandent des précisions sur certains aspects, corrigent au besoin certaines notions mal comprises, et soulèvent des questions pour l’ensemble du groupe. Photo: Nathalie St-Pierre

Selon le professeur, environ 90 % du travail des biologistes en dehors des laboratoires consiste à procéder à des recensements d’espèces animales sur un territoire donné, à évaluer la protection de leur habitat ainsi que l’impact des développements immobiliers, des changements climatiques, ou des espèces envahissantes. «Si vous avez aimé l’exercice d’aujourd’hui, vous trouverez facilement une place sur le marché du travail», conclut-il.