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Une recherche citée à CNN

Les travaux sur les murs frontaliers de la Chaire Raoul-Dandurand sont cités par le journaliste Fareed Zakaria.

Par Pierre-Etienne Caza

10 janvier 2019 à 16 h 01

Mis à jour le 11 janvier 2019 à 9 h 01

Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Image tirée de la vidéo de CNN

Les travaux sur les murs frontaliers que la professeure associée du Département de géographie Élisabeth Vallet a conduit avec les chercheurs de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques Josselyn Guillarmou (M.A. science politique, 2017) et Zoé Barry (M.A. science politique, 2017) ont été cités par le journaliste Fareed Zakaria sur les ondes de la chaîne américaine CNN, lors d’un segment portant sur le mur que le président Trump veut ériger à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. «L’équipe de CNN m’a appelée pour s’assurer que les infos contenues dans le tableau qu’ils souhaitaient utiliser était valides», rapporte la directrice scientifique de la Chaire Raoul-Dandurand, qui est également directrice de l’Observatoire de géopolitique.

Ce n’est pas la première fois que l’expertise d’Élisabeth Vallet sur la question des murs frontaliers est sollicitée par de grands médias étrangers. Au cours des dernières années, la professeure a notamment collaboré avec le New York Times et le Washington Post.

Élisabeth Vallet

L’analyse présentée par Fareed Zakaria, journaliste spécialisé en relations internationales, visait à mieux comprendre les coûts et les bénéfices de ce type de murs. Le topo débutait avec un tableau issu des recherches d’Élisabeth Vallet et de ses collègues montrant la hausse marquée du nombre de murs frontaliers érigés depuis la fin de la Guerre froide – il y en avait une quinzaine en 1990 et on en dénombre aujourd’hui 70!

Dans son intervention, le journaliste, s’appuyant sur d’autres sources, mentionne que les murs construits récemment en Israël, au Maroc et en Hongrie ont contribué à une baisse marquée des attentats suicides, de la violence et du passage illégal des migrants. Élisabeth Vallet ne partage pas cette analyse. «On dit que ces murs “fonctionnent”, mais on ne présente pas toutes les données contextuelles, explique-t-elle. Dans le cas du mur israélien, par exemple, on affirme que le nombre d’attentats suicide a diminué depuis son érection. C’est exact, mais on omet de mentionner qu’il n’était même pas complété lorsque les attentats ont commencé à décliner. En réalité, ce déclin est davantage le résultat d’un changement de stratégie de la part des Palestiniens: ils ont abandonné les attentats suicides, jugés inefficaces, pour des tirs de mortiers et de roquettes. Bref, on présente une version parcellaire de la réalité… comme le fait Donald Trump pour justifier son projet.»

Un mur inutile

Dans la suite de son topo, le journaliste de CNN souligne que le mur souhaité par le président Trump n’aurait aucun bénéfice réel – il n’y a pas de menace terroriste ou migratoire à la frontière avec le Mexique –  en plus de coûter une fortune et d’exacerber les tensions de part et d’autre de la frontière. Pas surprenant, conclut Zakaria, qu’une majorité d’Américains soient opposés à ce projet insensé. «On utilise une politique frontalière pour tenter de répondre à une crise migratoire qui se situe non pas au Mexique, mais en Amérique centrale, rappelle Élisabeth Vallet. Or, cela nécessiterait plutôt une politique étrangère d’aide au développement.»

«Un prolongement du mur ne sert à rien et les coûts, en tenant compte des expropriations, de la construction, de l’entretien et de l’embauche des agents frontaliers, seraient astronomiques. C’est un projet vain, un acte de vanité de la part de Trump.»

Élisabeth Vallet

Professeure associée au Département de géographie et directrice scientifique de la Chaire Raoul-Dandurand

Actuellement, la frontière entre les États-Unis et le Mexique, qui fait un peu plus de 3000 kilomètres de l’océan Pacifique à la pointe sud du Texas, comporte environ 1125 kilomètres de barrières ou de murs (en Californie, en Arizona et au Texas). «Un ami à moi ramasse des dizaines d’échelles chaque semaine au pied du mur à Brownsville, au Texas, raconte Élisabeth Vallet. Les gens franchissent facilement le mur, en passant par-dessus ou en creusant des tunnels. Au musée de la U.S. Border Patrol, à El Paso, on retrouve une section consacrée aux instruments servant à contourner le mur… il y a même une catapulte! Bref, un prolongement du mur ne sert à rien et les coûts, en tenant compte des expropriations, de la construction, de l’entretien et de l’embauche des agents frontaliers, seraient astronomiques. C’est un projet vain, un acte de vanité de la part de Trump.»

Les murs du désordre

Élisabeth Vallet a collaboré à l’installation interactive de l’artiste multidisciplinaire Martin Bureau intitulée Les murs du désordre, présentée du 12 janvier au 10 février à la Cinémathèque québécoise. L’artiste a érigé des reproductions de portions des murs qui bordent la frontières entre les États-Unis et le Mexique, entre Israël et la Palestine, ainsi qu’entre Belfast et l’Irlande du Nord. Les témoignages de personnes vivant le long des murs ainsi que des ambiances visuelles et sonores plongent le spectateur dans la réalité des tensions politiques et géopolitiques causées par l’existence même de ces murs.

Paralysie gouvernementale

Donald Trump réclame au Congrès, à majorité démocrate, la somme de 5,7 milliards de dollars pour ériger «son» mur, une promesse électorale qu’il tient mordicus à réaliser. Les démocrates refusent de débloquer ces fonds. Cette impasse budgétaire entraîne, depuis près de trois semaines, la paralysie partielle de l’administration fédérale. «S’ils acceptent un compromis sur le mur, les démocrates perdront à coup sûr l’élection présidentielle de 2020, estime Élisabeth Vallet. Céder leur aliénerait tous les comtés frontaliers opposés au mur.»

«L’ironie du shutdown, c’est que les sous-contractants qui étaient en train de rénover le mur en Californie, en Arizona et au Texas ont arrêté leurs travaux, car ils ne sont plus payés!»

Le président pourrait déclarer un état d’urgence nationale et se prévaloir de pouvoirs extraordinaires pour aller chercher quelques millions du côté du Pentagone, précise-t-elle. «Mais ce ne serait même pas suffisant pour construire 50 kilomètres de mur… Cela dit, je crois que si Trump réussissait à faire construire une petite partie de son mur, il crierait victoire.»

Le shutdown de l’administration fédérale est un rapport de force politique, mais aussi une bataille de l’opinion publique. «En théorie, cela peut durer indéfiniment, mais en pratique, il faudra que ça cesse sous peu, analyse la chercheuse. On a rapporté que des fonctionnaires fédéraux ne sont plus capables de payer leur hypothèque et bientôt les bénéficiaires de bons alimentaires – les food stamps –  seront affectés. Et l’ironie du shutdown, c’est que les sous-contractants qui étaient en train de rénover le mur en Californie, en Arizona et au Texas ont arrêté leurs travaux, car ils ne sont plus payés!»