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COVID-19 : scénarios de fin de pandémie

Entre le confinement, un vaccin ou un traitement, quels sont les différents scénarios pouvant mener à la fin de la pandémie?

Par Marie-Claude Bourdon

25 mars 2020 à 12 h 03

Mis à jour le 28 avril 2020 à 12 h 04

Série COVID-19: tous les articles
Les nouvelles sur la situation à l’Université entourant la COVID-19 et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.

Le coronavirus tire son nom du latin corona en raison de son image en forme de couronne telle qu’elle est apparue aux chercheurs qui ont les premiers identifié ce type de virus au microscope dans les années 1960.Photo: Getty images

«Prêts pour la prochaine pandémie?» Pas plus tard qu’en octobre 2019, c’est ainsi que titrait le magazine Québec Science. «Tous les experts, ceux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en tête, sont d’accord sur un point : l’arrivée de la prochaine pandémie n’est qu’une question de temps et ses conséquences seront majeures», écrivait la journaliste Marine Corniou dans son article. On peut dire que le magazine scientifique des Québécois, dirigé par la diplômée Marie Lambert-Chan (B.A. communication/journalisme, 2007), avait vu venir le monstre. Pas le SARS-CoV-2 (le nom exact du coronavirus) comme tel, dont personne ne pouvait prédire l’émergence, mais une infection virale hautement transmissible capable de faire trembler la planète.

Qu’est-ce qui mettra fin à la pandémie? Les mesures de confinement, un traitement, un vaccin? Immunologiste et professeure au Département des sciences biologiques, Tatiana Scorza n’en revient pas que malgré toutes nos connaissances scientifiques et toutes nos technologies, nous n’ayons pas pu éviter la crise qui frappe le monde en ce moment. «Nous savons modifier le génome des souris et nous sommes en train d’explorer l’espace, mais nous n’étions pas préparés à gérer cette situation», remarque la chercheuse, qui a accordé de nombreuses entrevues dans les médias depuis le début de la crise.

La pandémie de COVID-19 n’est pas sans rappeler, par son ampleur et les bouleversements qu’elle provoque, des épidémies que l’on croyait appartenir au passé, comme celle de la grippe espagnole, du choléra ou même de la peste. Plus près de nous, un autre coronavirus, celui du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), a provoqué une épidémie en 2002-2003. Bien que plus virulent que celui qui cause la COVID-19, le SARS-CoV-1 était beaucoup moins contagieux et il a été plus facile de circonscrire le nombre de cas (8000 à travers le monde) et de décès (près de 800). Mais, comme aujourd’hui, cet agent infectieux avait profité de notre organisation sociale mondialisée pour se propager en quelques mois à travers la planète.

Le SRAS est aujourd’hui disparu de nos radars. Après avoir semé la peur pendant quelques mois, le virus a cessé de faire de nouvelles victimes et a été, à toutes fins pratiques, éradiqué. Au point que les recherches qui avaient été entreprises pour trouver un vaccin destiné à nous en protéger ont été abandonnées. Qu’en sera-t-il de la COVID-19?

Un tout nouveau virus

Si les épidémies du passé peuvent nous aider à comprendre l’ennemi auquel nous avons affaire, il reste que nous nous trouvons aujourd’hui devant un tout nouveau virus, observe Benoit Barbeau (M.Sc. biologie,1991), un autre professeur du Département des sciences biologiques, spécialiste de la virologie, auquel les médias ont régulièrement fait appel pour mieux comprendre la COVID-19. «Ce virus possède ses propres caractéristiques et cette pandémie est unique, dit-il. Ce n’est que plus tard, en période post-pandémique, quand nous disposerons de toutes les données, que nous pourrons vraiment comprendre comment elle a évolué.»

Le fait qu’un grand nombre de personnes qui propagent la maladie soient asymptomatiques rend le contrôle de cette pandémie beaucoup plus compliqué, note Benoit Barbeau. En effet, comment savoir combien de personnes sont vraiment porteuses du virus? Plusieurs individus infectés, asymptomatiques ou peu symptomatiques, ne sont pas testés, souligne Tatiana Scorza. «En Chine, on ne sait pas combien de personnes avaient contracté le virus avant le confinement et étaient immunisées, dit la professeure. Cela n’a pas été étudié. Il faudrait faire un suivi virologique pour déterminer le pourcentage d’individus qui ont développé des anticorps contre la maladie. On pourrait alors établir avec certitude les causes de la baisse de la transmission en Chine.»

Confinement et immunité

Selon elle, deux facteurs ont joué en Chine : les mesures de confinement et l’immunité acquise par les personnes infectées. «Ce sont ces mêmes facteurs qui joueront un rôle ici si l’on continue de faire ce que l’on fait, dit-elle. Ce qui a été catastrophique en Chine, la raison pour laquelle beaucoup de personnes ont souffert et sont décédées, c’est que les mesures de confinement sont arrivées un peu tard. Ces mesures n’ont pas pour but d’éliminer le virus, mais de permettre au système de santé de gérer la crise et de donner les soins requis aux personnes malades.»

Le virus de la COVID-19 ne se comporte pas comme le VIH, qui provoque une infection pouvant rester latente pendant des années. «Avec la COVID-19, l’infection est aigüe, observe Tatiana Scorza. Elle peut être sévère, mais elle n’entraîne pas d’état chronique. Les personnes immunocompétentes touchées acquièrent une immunité contre la maladie et cette immunité agit comme la vaccination. Elle réduit le nombre de personnes susceptibles de contracter la maladie, ce qui fait que le virus ne peut plus se transmettre.»

Considérant que la grande majorité des personnes infectées survivent, souvent sans grands symptômes, c’est, selon elle, cette immunité qui, au bout du compte, nous délivrera de la pandémie (avec un vaccin qui viendra éventuellement, peut-être, compléter l’immunisation des personnes non infectées). «C’est le scénario le plus probable», dit la chercheuse. 

Le scénario de l’immunité collective

Certains pays, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, les Pays-Bas ou la Suède, ont jonglé ou jonglent encore avec une approche de la pandémie misant sur l’immunité collective : en gros, on adopte des mesures de distanciation sociale et de confinement mineures, on essaie de protéger les personnes les plus vulnérables et on laisse les gens s’infecter en attendant qu’une proportion suffisante de la population soit immunisée pour offrir une barrière à la propagation du virus. Le problème, c’est qu’une telle approche aura forcément un coût important en vies humaines, croient de nombreux experts. «Le nombre de décès serait astronomique, affirme Benoit Barbeau. Si le système de santé est saturé et que l’on manque de ressources pour soigner les gens, ce ne sont pas seulement les victimes de la COVID-19 qui vont mourir, mais aussi les autres malades – ceux qui ne sont pas infectés, mais qui ont également besoin de soins intensifs.»

Un vaccin?

«Je ne crois pas qu’un vaccin sera l’élément clé pour vaincre l’épidémie, avance Benoit Barbeau. En fait, je ne le souhaite pas, car, dans ce cas, nous en avons pour au moins un an.» Mettre au point un vaccin exige de conduire des études poussées sur un grand nombre de personnes, et cela demande du temps, explique le chercheur. «Ces études doivent démontrer non seulement que la vaccination produit une réponse immunitaire qui neutralise le virus, mais qu’elle est sécuritaire.» On ne peut pas sauter des étapes dans la conception d’un vaccin. Encore moins avec la méfiance que suscite la vaccination dans certains groupes de la population. 

«Il ne faut pas fermer la porte au vaccin, ajoute le chercheur. Cela pourrait devenir un outil si on n’a pas réussi à se débarrasser complètement de la maladie ou pour éviter de futures pandémies. Mais si on arrive à contrôler la COVID-19 par les mesures de confinement d’ici, disons, trois mois, le développement de vaccins risque de s’arrêter, faute de financement pour la recherche. »

Le beau temps 

Malgré ce qu’avait annoncé le président Trump quand la pandémie a atteint les États-Unis, il y a peu de chance, selon les experts, que l’arrivée du printemps mette fin à la propagation de la maladie. «En ce moment, aucun pays ne semble à l’abri, note Benoit Barbeau. Il y a de minces évidences selon lesquelles la propagation est moins forte dans les pays un peu plus chauds, mais, en ce moment, il y a fort à parier que cela est dû au nombre minime de tests qui sont faits dans ces régions du monde.» Au mieux, la transmission du virus pourrait être ralentie par l’augmentation des températures, croit le biologiste.

Un médicament contre la COVID-19

À travers le monde, de nombreuses équipes de chercheurs se mobilisent pour tester des médicaments existants, comme la chloroquine, ou en concevoir de nouveaux pour lutter contre la COVID-19. Mais, comme dans le cas des vaccins, on ne peut précipiter les recherches sur les molécules visant à guérir la maladie ou à traiter ses symptômes les plus sévères. «On veut s’assurer que la molécule a un effet bénéfique et, aussi, qu’elle ne va pas empirer l’état de certains malades, souligne Benoit Barbeau. Cela prend des mois pour démontrer l’efficacité d’un antiviral. Et nous sommes au tout début des études.»

«La chloroquine a donné de bons résultats in vitro en provoquant une inhibition de la réplication du virus, affirme Tatiana Scorza. In vivo, il n’y a pas encore de preuves que cela fonctionne. Cette substance est utilisée depuis des années dans le traitement de la malaria, elle n’est pas chère, et sa toxicité est limitée. Donc, il est intéressant de la tester. Mais de là à dire qu’on va pouvoir traiter les gens, on ne sait pas encore.»

Des vagues de coronavirus?

Est-ce que le virus pourrait revenir par vagues? Devenir saisonnier? Ce n’est pas impossible. En Corée du Sud, il y a déjà eu deux vagues. Et on scrute ce qui va se passer dans les prochaines semaines en Chine, où l’on a relâché les mesures de confinement. Il peut arriver que le virus semble avoir été endigué et qu’un nouveau foyer apparaisse. Il peut aussi se transformer. Le génome du coronavirus à l’origine de la COVID-19 est de type ARN plutôt que ADN. «Les virus ARN, par leur mode de réplication, mutent beaucoup plus souvent, ce qui peut faire apparaître de nouvelles souches», explique Benoit Barbeau. Cela pourrait compliquer la mise au point d’un vaccin, comme pour les différentes souches de l’influenza qui émergent chaque année.

En fait, il a été démontré que le SARS-CoV-2 a déjà muté plus d’une fois depuis sa première éclosion en Chine. Mais cela ne veut pas dire que les personnes qui ont guéri de l’infection ou qui ont été vaccinées ne résisteraient pas à la nouvelle version du virus. «Cela dépend du taux de mutation du virus, mentionne Benoit Barbeau. Il est rare qu’une seule mutation fasse en sorte que le système immunitaire d’une personne immunisée ne reconnaisse pas le virus. En général, il faut une variété de mutations.»

Tatiana Scorza fait la même constatation. «Il y a des mutations qui ont des effets radicaux, dit-elle, mais cela est rare.»

Le coronavirus pourrait aussi muter pour devenir moins virulent. En effet, d’un point de vue évolutif, un virus n’a pas intérêt à faire mourir tous ses  hôtes et il arrive que des mutations aient pour effet de diminuer sa létalité. «Mais est-ce que le coronavirus a besoin d’être moins mortel pour pouvoir se propager? Il a déjà un bon taux de transmission», note Benoit Barbeau.

En territoire inconnu

Avec la COVID-19, on navigue en territoire inconnu. On ne connaît avec précision ni le taux de contamination de la population, ni les facteurs de résistance, ni son taux de mutation, ni sa résistance réelle aux climats plus chauds. Autant de facteurs qui jouent un rôle dans le scénario menant à la fin de la pandémie.

Pour Benoit Barbeau, il est évident que nous devons maintenir des mesures de confinement très contraignantes si nous voulons arriver à contrôler la propagation du virus. «Il faut donner aux Chinois le crédit d’avoir réussi, même si la situation demeure fragile, dit-il. Considérant la taille de la population chinoise, la situation là-bas aurait pu prendre une ampleur épouvantable. »

Selon lui, on doit s’inspirer des stratégies de lutte contre la pandémie qu’ont adoptées des pays comme la Corée du Sud et Singapour, qui semblent également avoir réussi à la contrôler sur leur territoire. «La Corée du Sud a répondu à l’épidémie de façon agressive et a axé ses interventions sur de nombreux tests, y compris de gens qui avaient été en contact avec des personnes infectées, pour les localiser et les mettre en quarantaine», mentionne le chercheur.

À l’instar du Dr Horacio Arruda, directeur national de la santé publique du Québec, Benoit Barbeau souligne la responsabilité de chaque citoyen dans les efforts menés pour aplanir la courbe de propagation du virus. «Le confinement pendant quelques semaines demeure la meilleure stratégie, dit-il. On ne va pas totalement éliminer le virus, mais si on réussit à écraser sa courbe de propagation et qu’on continue de contrôler les nouveaux cas d’infection, on arrivera à un point où il y aura un ralentissement de l’épidémie.»

On pourra alors, espérons-le, diminuer les mesures de confinement et envisager un retour à une vie normale.