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Création d’une marionnette virtuelle

À partir de recherches sur le jeu vidéo, les arts numériques et la programmation, Paola Huitron réinvente la marionnette.

Par Valérie Martin

23 novembre 2020 à 13 h 11

Mis à jour le 23 novembre 2020 à 13 h 11

Les nouvelles technologies peuvent-elles réinventer l’art de la marionnette? Comment le numérique peut-il faire évoluer l’art? La marionnettiste Paola Huitron, qui a travaillé pour différentes compagnies au cours des 15 dernières années, s’intéresse à ces questions dans le cadre de son mémoire-création en théâtre. «L’influence du numérique est partout, dans la société, les arts, la création, et la culture, fait-elle remarquer. Je me suis demandé ce que les nouvelles technologies et les jeux vidéo en particulier pouvaient apporter de nouveau à la marionnette.»

Après avoir effectué des recherches sur le jeu vidéo, les arts numériques et la programmation, Paola Huitron a eu l’idée de créer une marionnette virtuelle en collaboration avec l’étudiant au baccalauréat en enseignement de l’art dramatique Gabriel Tran, un adepte des jeux vidéo et programmeur autodidacte. Le concepteur virtuel a développé le programme nécessaire à la virtualisation et à l’animation de la marionnette. «Sans l’aide de Gabriel Tran, je n’aurais pu progresser aussi rapidement», confie la marionnettiste.

L’objet créé est un double virtuel, un avatar, d’une marionnette construite par Paola Huitron avec du fil de fer. Au moyen d’une manette et d’un casque de réalité augmentée, la marionnettiste a appris à manipuler la marionnette intangible. «Je dois activer la marionnette à distance, à partir d’un objet, soit la manette, un peu comme on le fait avec une marionnette à fils qu’on actionne aussi sans la toucher», explique la marionnettiste, qui a développé une grammaire gestuelle – une sorte de chorégraphie propre à la marionnette-avatar.

La marionnette a plus de possibilités que son pendant du jeu vidéo. «Contrairement à l’avatar, qui ne peut exécuter qu’une série d’actions limitée – marcher, sauter, courir ou frapper, par exemple –, la marionnette peut être contrôlée pour marcher de différentes manières», explique Paola Huitron. L’intention, aussi, est différente. «Le jeu vidéo étant programmé à l’avance, l’objectif pour les joueurs est d’abord de finir le jeu, note l’étudiante. Le ou la marionnettiste fait bouger sa marionnette dans l’idée de créer.»

La marionnette virtuelle conçue par Paola Huitron est sans visage. «En faisant ce choix esthétique, je veux arriver à l’essence du mouvement», dit-elle. Selon la chercheuse, les personnages naissent de l’interaction mécanique et sensorielle entre le ou la marionnettiste (le sujet) et la marionnette (l’objet) par le même processus qui permet à toute matière de devenir marionnette.  «C’est l’artiste qui donne une âme à la marionnette», précise-t-elle.

Pour «donner vie» à la marionnette, Paola Huitron a puisé son inspiration dans le mythe grec d’Icare. Icare est ce jeune homme prisonnier d’un labyrinthe avec son père, qui a l’idée de fabriquer des ailes en cire pour recouvrer la liberté. Porté par son impulsivité et sa joie de voler, Icare oublie que ses ailes vont fondre au soleil, ce qui lui est fatal. «Ce qui m’intéresse dans le personnage d’Icare, c’est l’idée qu’il incarne, le temps qu’il vole comme l’oiseau, quelqu’un qu’il n’est pas, il explore une autre identité», commente la marionnettiste, qui se sert du mythe pour donner une intention à sa marionnette.

Le contexte de la pandémie a contribué à l’émergence de son projet. «Étant donné que la marionnette est un art traditionnel, il y avait une résistance auparavant à travailler avec les nouvelles technologies», observe-t-elle. Les marionnettistes, qui doivent être très proches les uns des autres pour bien faire leur travail, pourraient difficilement œuvrer sur scène en respectant la distanciation sociale. D’où l’intérêt de se tourner vers la création virtuelle.

De nouveaux dispositifs médiatiques et numériques peuvent, par ailleurs, amener de nouveaux publics à s’intéresser au théâtre de marionnettes, croit la chercheuse. «L’utilisation des technologies peut être un bon moyen pour rejoindre les adolescents et susciter leur intérêt envers la marionnette.»

Dans le cadre d’une conférence-démonstration intitulée Au seuil d’Icare, la marionnettiste partagera ses observations et ses réflexions issues de nombreux laboratoires d’expérimentation de la marionnette virtuelle. «La démonstration pourrait donner des outils à d’autres marionnettistes et les aider à comprendre comment ils ou elles peuvent travailler avec différentes matières sans perdre leur essence», croit Paola Huitron. L’événement en ligne aura lieu sur la plateforme Zoom le 26 novembre prochain, à 12 h 30.