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Reconversions industrielles

Le processus de repositionnement économique d’une ville ou d’une région doit émaner des acteurs locaux, analyse Marc-André Houle.

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Doc en poche

Par Pierre-Etienne Caza

10 décembre 2020 à 9 h 12

Mis à jour le 10 décembre 2020 à 15 h 12

Série Doc en poche
Armés de leur doctorat, les diplômés de l’UQAM sont des vecteurs de changement dans leur domaine respectif.

Marc-André Houle

Marc-André Houle (Ph.D. science politique, 2020)

Titre de sa thèse: «La reconversion industrielle des régions québécoises: les expériences de Sorel-Tracy et Drummondville»

Direction de recherche: Alain-G. Gagnon, professeur au Département de science politique

Enjeu social: la reconversion industrielle d’une région

La mondialisation a forcé plusieurs villes, voire des régions entières, à se repositionner économiquement au tournant des années 1970-1980. «L’économie de Sorel-Tracy était basée sur la construction navale et celle de Drummondville sur le textile», illustre Marc-André Houle, qui s’est intéressé à la reconversion industrielle de ces deux villes. «Je voulais comprendre qui avait fait quoi et comment, en m’intéressant notamment à l’implication des différents paliers de gouvernement – municipal, MRC, provincial et fédéral», précise-t-il.

Pour y parvenir, il s’est plongé dans les archives des journaux afin de reconstituer le plus fidèlement possible la trajectoire industrielle et économique des deux villes, lesquelles présentent quelques similarités. «Il s’agit de deux villes de taille moyenne qui ont consolidé leur pôle monoindustriel au début du 20e siècle et qui ont largement profité de la forte croissance économique des Trente Glorieuses, entre 1945 et 1975», souligne-t-il.

Le cas de Drummondville

À la fin des années 1970, toutefois, rien ne va plus. «En 1977, le magazine L’actualité a désigné Drummondville comme étant une ville à l’agonie, note Marc-André Houle. Le magazine satirique Croc en avait même fait sa tête de turc, associant systématiquement tout ce qui était quétaine avec Drummondville.»

La libéralisation des marchés et la délocalisation des emplois dans le domaine du textile poussent les propriétaires d’usines à couper les salaires afin de demeurer compétitifs. Pour améliorer leurs conditions matérielles, les travailleurs et travailleuses doivent changer de métier… mais pour faire quoi? «Sous l’impulsion de la mairie et des organismes de développement économique, Drummondville a amorcé sa reconversion industrielle en misant sur l’entrepreneuriat, en soutenant le démarrage de petites et moyennes entreprises, raconte Marc-André Houle. Et ça a fonctionné. Pas étonnant que l’on associe souvent le Centre-du-Québec à l’esprit entrepreneurial!»

Outre son capital humain, la ville possédait plusieurs atouts de par sa géolocalisation: elle est située presqu’à mi-chemin entre Montréal et Québec, elle n’est pas très loin de la frontière américaine, elle dispose d’un accès direct à l’autoroute 20 et elle possédait plusieurs terrains industriels prêts à être exploités. «Aujourd’hui, il y a une dizaine de secteurs d’activités florissants à Drummondville, tels que machinerie, métal et transport; aliments et boissons; grossistes-distributeurs; papiers et produits finis; meubles et articles d’ameublement; électrique et électronique», souligne le diplômé.

La reconversion réussie de Drummondville tient en partie à deux acteurs clés, a constaté Marc-André Houle. La mairesse Francine Ruest-Jutras a été en poste de 1987 à 2013, tandis que le commissaire industriel de l’époque, entré lui aussi en fonction en 1987, est devenu par la suite le directeur général de la Société de développement économique de Drummondville. Il est toujours en poste aujourd’hui. «Cette stabilité a été cruciale pour la ville, estime-t-il. En 2018, le magazine L’Actualité a publié un article intitulé: “La ville la plus fière du Québec” en parlant de Drummondville. Tout un revirement de situation!»

Le cas de Sorel-Tracy

La reconversion ne s’est pas déroulée de la même façon à Sorel-Tracy, les chantiers maritimes étant un milieu très syndicalisé. «Le grand-père et le père ayant gagné de très bons salaires dans les chantiers maritimes, on a toujours gardé espoir que les chantiers redémarrent ou qu’une grande entreprise vienne s’installer pour offrir de bons emplois», a constaté Marc-André Houle en allant sur le terrain à la rencontre des acteurs du milieu. «Pendant longtemps, on a cru que seuls les syndicats pouvaient inspirer une vision en termes de développement régional», ajoute-t-il.

L’industrie navale avait attiré l’industrie métallurgique (Rio Tinto a toujours une usine dans la municipalité voisine) et plusieurs entreprises polluantes s’étaient installées à cet endroit stratégique, au confluent de la rivière Richelieu et du fleuve Saint-Laurent. Ironiquement, c’est lorsque les gouvernements québécois et canadien ont décidé d’assainir le fleuve et de forcer les entreprises à changer leur pratique qu’ont émergé des stratégies de reconversion s’appuyant sur l’environnement, le développement durable et l’écologie industrielle. «Plusieurs acteurs et organismes ont participé à cette reconversion, mais à la fin des années 1990, la création du Centre de transfert technologique en écologie industrielle a consolidé les efforts. Ce centre est d’ailleurs à la base de plusieurs initiatives québécoises en matière d’économie circulaire et il est devenu une référence mondiale», souligne Marc-André Houle.

En 2012, Sorel-Tracy a été reconnue comme Technopole en écologie industrielle. Le cégep a créé une Chaire de recherche sur l’écologie industrielle et territoriale, développant également un programme de formation technique. «Le bilan de la transformation de l’économie à Sorel-Tracy demeure mitigé, note toutefois Marc-André Houle. Il reste du travail à faire.»

Le processus des fusions municipales, qui a lié Sorel et Tracy en 1999, a laissé des traces, explique le chercheur. «Il y a encore des guerres de clochers là-bas et, même 20 ans plus tard, cela fragilise le processus de reconversion industrielle. De nouveaux dirigeants et administrateurs se sont succédé, chacun proposant sa vision pour la ville. Or, les processus de reconversion sont des démarches qui nécessitent une vision à long terme afin d’obtenir le soutien des gouvernements pour la mettre en œuvre.»

Pas de stratégie unique

En somme, la même stratégie de reconversion industrielle ne fonctionne pas nécessairement dans toutes les régions. «Il faut laisser la concertation faire son œuvre entre les acteurs du milieu concerné, conclut Marc-André Houle. Cela peut prendre du temps. Certaines villes réussissent leur reconversion en 15 ans, mais, pour d’autres, cela peut prendre 30 ou 40 ans!»

De la recherche au travail sur le terrain

Marc-André Houle a eu quelques charges de cours à l’UQAM par le passé – il a notamment donné le cours Politique de finances publiques à 11 reprises. Il adore la recherche et l’enseignement, mais il se décrit lui-même comme «un gars de terrain». «Je voulais faire du développement régional et j’ai trouvé l’emploi idéal à Victoriaville», dit celui qui agit depuis peu à titre d’agent du Fonds Écoleader pour le Centre-du-Québec. «La mission du Fonds est d’encourager les entreprises à adopter des pratiques écoresponsables», explique le diplômé, qui est également agent de développement durable pour l’Écoparc industriel Daniel-Gaudreau et qui travaille en parallèle à une version remaniée de sa thèse en vue d’une publication.

Une dédicace émouvante

Marc-André Houle a dédié sa thèse au professeur Yves Bélanger, décédé en 2014 de la sclérose latérale amyotrophique. «Yves s’était intéressé à la stratégie de reconversion industrielle de Sorel-Tracy, notamment par le biais de projets avec le Service aux collectivités de l’UQAM dans les années 1990, raconte-t-il. Il avait dirigé mon mémoire de maîtrise et il savait qu’il ne pourrait pas m’accompagner jusqu’au bout de ma thèse. Voilà pourquoi j’ai cogné à la porte d’Alain-G. Gagnon, dont la thèse de doctorat portait sur le développement régional.»