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Stratégies originales en calcul mental

Jérôme Proulx et son équipe poursuivent leurs travaux chez les élèves du primaire et du secondaire.

Par Pierre-Etienne Caza

2 juillet 2020 à 15 h 07

Mis à jour le 6 juillet 2020 à 8 h 07

Image: Getty

En tentant de résoudre en 15 à 20 secondes des tâches mathématiques sans papier ni crayon, les élèves du primaire et du secondaire élaborent parfois des stratégies très originales, a constaté le professeur du Département de mathématiques Jérôme Proulx. Ce dernier vient d’obtenir une troisième subvention du CRSH de près de 190 000 dollars afin de poursuivre ses travaux sur le calcul mental.

Codirecteur du Laboratoire Épistémologie et activité mathématique avec son collègue Jean-François Maheux, Jérôme Proulx se rend dans les écoles avec des étudiants aux cycles supérieurs afin d’observer et d’analyser la manière dont les élèves abordent certaines tâches en calcul mental. «Il ne s’agit pas simplement de nombres à additionner, à soustraire, à multiplier ou à diviser, précise-t-il. Nous proposons des tâches à résoudre en géométrie, en algèbre, en statistique ou encore en trigonométrie.»

Ce sont les stratégies que déploient les élèves qui intéressent les chercheurs, pas nécessairement le résultat final. «Les élèves utilisent souvent des stratégies qui diffèrent de ce qu’ils ont appris en classe avec un papier et un crayon. Pour une même tâche, on obtient souvent 5 ou 6 stratégies différentes… et parfois jusqu’à 10», raconte-t-il.

L’exemple du périmètre

Une fois la tâche complétée, les chercheurs demandent aux élèves d’expliquer le cheminement emprunté. Parfois, les enseignants sont fascinés par les stratégies proposées par leurs élèves. Cela les pousse à réfléchir aux façons d’aborder certaines notions. «Notre objectif n’est pas, et n’a jamais été, d’évaluer la manière dont les mathématiques sont enseignées, pas plus que de formuler des recommandations sur la question, insiste Jérôme Proulx. Mais certaines stratégies ouvrent des pistes de réflexion qui suscitent l’enthousiasme des enseignants quant à la manière de travailler certaines notions.»

À titre d’exemple, lors d’un exercice avec des élèves de 5e année du primaire, chercheurs et enseignants ont pu s’apercevoir des limites d’enseigner le périmètre comme étant «le contour de la figure». Cet exercice a donné lieu à la publication d’un court article en 2018 dans Envol: Revue du groupe des responsables en mathématiques du Québec.

La tâche était la suivante: trouver le périmètre d’un rectangle dessiné sur une feuille quadrillée et possédant des côtés de 8 centimètres par 4 centimètres, pour une aire totale de 32 cm2.

L’aire et le périmètre sont facilement confondues par les élèves, rappelle Jérôme Proulx. «Un premier élève a proposé 20 comme périmètre, car il comptait un à un les carreaux à l’intérieur du rectangle, en plaçant un point dans chacun pour garder le compte.»

Des élèves se sont opposés, car pour eux cette réponse ne considérait pas tout le périmètre, poursuit-il. «Un des élèves a plutôt proposé de faire la clôture du terrain, soit de compter le tour du rectangle. Il affirmait qu’il fallait prendre le 8, le 4, l’autre 8 et l’autre 4, ce qui lui donnait un périmètre de 24. Certains élèves, mais pas tous, étaient d’accord avec cette procédure, qui représente ce qu’ils font habituellement.

Un élève a affirmé pouvoir trancher le débat en faisant le tour de la figure pour trouver le “vrai” contour du rectangle. Il a compté tous les carrés à l’extérieur du rectangle, lui aussi inscrivant un point dans chacun, ce qui lui donnait 28 comme réponse pour le périmètre.» Cet élève a expliqué que cette façon de faire faisait vraiment le tour et fermait la fameuse clôture délimitant le contour. «Il a ajouté que si la maison est le rectangle de 8 par 4, alors on ne met jamais la clôture sur la maison mais bien autour de celle-ci», raconte Jérôme Proulx.

Prises du point de vue unique du “contour” de la figure, les trois réponses données ont quelque chose de valable, note le professeur. «Chacune décrit, en fonction de sa stratégie associée, un contour possible : le contour interne pour le 20, le contour bordure pour le 24 et le contour externe pour le 28.»

Toutes ces réponses ont suscité de vives discussions dans la classe, permettant à l’enseignant de clarifier la notion de périmètre comme étant la mesure d’une longueur et non simplement un contour. «Ce cas lié au périmètre est un bon exemple illustrant les limites des images que les enseignants utilisent parfois pour expliquer certaines notions à leurs élèves», note Jérôme Proulx.

Des mathématiques difficiles

Au cours des prochaines années, son équipe compte s’intéresser davantage à la variété des stratégies utilisées lors de tâches portant sur des notions réputées difficiles pour les élèves année après année, comme, justement, la distinction entre l’aire et le périmètre au primaire ou la résolution d’équations algébriques au secondaire. Les élèves ne comprennent pas toujours du premier coup ces notions, peinent à réussir en contexte papier/crayon les tâches qui y sont associées et développent parfois des conceptions erronées. Ce qui est bien normal: les mathématiques engagent des réflexions importantes sur les idées en jeu et ne s’acquièrent pas simplement par la pratique et la répétition, rappelle le spécialiste.

Or, le chercheur et son équipe ont noté que plusieurs élèves réussissent fréquemment à résoudre ces mêmes tâches avec une aisance stupéfiante en contexte de calcul mental! «La contrainte de temps liée au calcul mental force les élèves à sortir des sentiers battus et à faire preuve de créativité pour résoudre rapidement la tâche, et ce, sans nécessairement faire appel aux stratégies usuelles apprises en classe», dit-il.

Des angles inédits intéressants

Il n’y a pas que les enseignants qui s’enthousiasment pour la manière qu’ont les élèves de concevoir et de résoudre une tâche donnée. Certaines stratégies poussent l’équipe du professeur Proulx non seulement à se questionner sur la manière dont les notions sont comprises, mais aussi à les contempler sous un angle mathématique inédit. «Entendons-nous bien, les élèves ne font pas des découvertes mathématiques, mais ils ouvrent parfois des portes que nous n’aurions pas nécessairement envisagées. Cela suscite des discussions très enrichissantes au sein de notre équipe sur le plan mathématique… et cela constitue un bel exercice d’humilité face à l’originalité des façons de faire des élèves», conclut-il.