Voir plus
Voir moins

Pionnière des études féministes

Un colloque soulignera les contributions de l’UQAM au développement de ce champ du savoir.

Par Claude Gauvreau

27 janvier 2020 à 15 h 01

Mis à jour le 29 janvier 2020 à 8 h 01

Étudiantes et membres du personnel lors des inscriptions au premier cours sur la condition féminine offert à l’UQAM en 1972. Photo: Service des archives et de gestion des documents

À l’occasion des 50 ans de l’UQAM, l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) organise, le 31 janvier prochain, un colloque intitulé «L’UQAM, pionnière des études féministes dans la Francophonie», qui se tiendra à la Salle de la reconnaissance (D-R200).

Le colloque réunira une vingtaine de chercheuses féministes, jeunes et moins jeunes, provenant de divers horizons disciplinaires. Elles parleront des raisons pour lesquelles elles se sont engagées dans les études féministes, des défis personnels, intellectuels et institutionnels auxquels elles ont été confrontées, des idées féministes qui ont inspiré leurs recherches et des contributions apportées par leurs travaux.

«Le champ des études féministes s’est développé sur une période de près de 40 ans, rappelle la professeure du Département de sociologie Francine Descarries, membre fondatrice de l’IREF et responsable du colloque. Les témoignages de professeures, de chargées de cours et d’anciennes étudiantes permettront de mieux comprendre comment s’est construit ce champ études et comment il a évolué dans le temps. Dans la Francophonie, peu nombreuses sont les universités qui, comme l’UQAM, ont abrité trois ou quatre générations de chercheuses féministes.»

Le colloque se terminera par un cocktail retrouvailles où se réuniront celles et ceux qui, au fil des années, ont fréquenté les programmes de concentration en études féministes offerts par l’IREF.

«Dans la Francophonie, peu nombreuses sont les universités qui, comme l’UQAM, ont abrité trois ou quatre générations de chercheuses féministes.»

Francine descarries,

Professeure au Département de sociologie et membre fondatrice de l’IREF

Contester les savoirs traditionnels

Au cours du colloque, des pionnières telles que Ruth Rose (sciences économiques), Yolande Cohen (histoire), Christine Corbeil (travail social) et Karen Messing (sciences biologiques) expliqueront comment elles en sont venues à remettre en question les traditions intellectuelles et scientifiques dans leurs disciplines respectives.

Appartenant à la première génération de chercheuses féministes, ces professeures avaient l’ambition de comprendre pourquoi les expériences et les savoirs des femmes étaient si peu considérés dans le monde scientifique, souligne Francine Descarries. «Pourquoi une discipline comme l’histoire s’intéressait-elle si peu à la participation des femmes à la marche historique ? Comment la sociologie pouvait-elle expliquer la société sans tenir compte des contributions sociales des femmes ? Ces questionnements étaient aussi étroitement liés à l’essor du mouvement des femmes qui revendiquait de nouveaux droits dans les années 1970.»

À l’UQAM, les professeures ont privilégié une approche consistant à donner un caractère interdisciplinaire aux études féministes. La création, au fil des ans, d’un certificat et de concentrations en études féministes à tous les cycles dans une quinzaine de disciplines, notamment en sciences humaines et sociales et en arts, a permis d’offrir aux étudiantes une formation pluridisciplinaire tout en faisant irradier la perspective féministe dans différents champs du savoir. Sur le plan de la recherche, un noyau de professeures a mis sur pied, en 1976, le Groupe interdisciplinaire d’enseignement et de recherche sur les femmes (GIERF), l’ancêtre de l’IREF, lequel a vu le jour en 1990.

«J’ai passé 30 ans de ma vie à défendre l’idée qu’une féministe pouvait faire de la vraie science, dit la professeure. Nous devions rompre avec l’androcentrisme, ce mode de pensée qui envisage le monde uniquement à partir du point de vue masculin.»

En quête de légitimité

Selon Francine Descarries, les chercheuses de l’UQAM ont toutes été confrontées à un même défi, celui de faire reconnaître la légitimité scientifique du cadre de pensée féministe pour éviter d’être marginalisées dans leurs disciplines. «J’ai passé 30 ans de ma vie à défendre l’idée qu’une féministe pouvait faire de la vraie science, dit la professeure. Nous devions rompre avec l’androcentrisme, ce mode de pensée qui envisage le monde uniquement à partir du point de vue masculin. S’inscrivant dans une perspective de changement social parce qu’elles remettent en cause les rapports de pouvoir et d’inégalité entre les sexes, les études féministes étaient et sont toujours porteuses d’un projet politique d’émancipation. Pour les tenants de la posture positiviste, cela était inconciliable avec la recherche scientifique.»

En 2020, les défis prennent d’autres formes, poursuit Francine Descarries. «Il s’agit, notamment, de mettre à profit les nombreuses propositions féministes qui circulent dans les différents champs du savoir pour penser les conditions des femmes d’ici et d’ailleurs. Comment concilier, par exemple, l’approche individualisante, fondée sur la réalisation personnelle, et celle plus collective, qui cherche à remettre en question les rapports de pouvoir?»

Des contributions multiples

Il sera question au colloque des contributions des chercheuses de l’UQAM à l’essor des études féministes dans de multiples domaines. «Nos historiennes ont participé à la construction d’une histoire des femmes, observe la professeure. L’économiste Ruth Rose s’est penchée sur les difficultés que rencontraient des femmes à réintégrer le marché de l’emploi après un congé de maternité. Donna Mergler et Karen Messing ont mené des recherches pionnières en santé et sécurité sur les conditions des travailleuses. Christine Corbeil et moi-même avons été parmi les premières chercheuses à réaliser des études, à la fin des années 1980, sur la conciliation famille-travail.» Plus récemment, on peut citer les travaux de Julie Lavigne sur la sexualité féminine, ceux de Thérèse St-Gelais sur la place des femmes en histoire de l’art, ou ceux de Manon Bergeron et de Sandrine Ricci sur les violences à caractère sexuel dans le milieu de l’enseignement supérieur.

Pour Francine Descarries, l’un des grands enjeux actuels en études féministes consiste à définir un projet de société dans lequel l’égalité de fait entre les femmes et les hommes sera accomplie, ce qui nécessite de rompre avec l’illusion de l’égalité déjà-là. «Chose certaine, dit-elle, nous assistons à un éclatement des problématiques et des revendications. Pour moi, qui suis sociologue, les problèmes de la pauvreté, de la violence, de la discrimination et de la participation citoyenne des femmes demeurent d’immenses enjeux, alors que d’autres chercheuses insistent, par exemple, sur l’importance des questions reliées au genre et à l’identité sexuelle.»

«Aujourd’hui, les clivages et les inégalités entre les femmes sont plus manifestes et une réflexion s’est développée sur la situation de celles qui subissent simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination: racisme, sexisme, homophobie, etc. Cela fait en sorte qu’il est plus difficile de parler au nous.»

Un féminisme pluriel

Traversé par différents courants de pensée et formes d’engagement, le féminisme contemporain se conjugue au pluriel. Dans un tel contexte, est-il possible pour les féministes de parler d’une voix commune tout en reconnaissant la diversité ? «Depuis le début des années 1990, les féministes ont renoncé à cette ambition, qui était celle des années 1960, remarque la professeure. Il y a 40 ans, un combat comme celui pour le droit à l’avortement transcendait les différences de classe, ethniques et générationnelles. Aujourd’hui, les clivages et les inégalités entre les femmes sont plus manifestes et une réflexion s’est développée sur la situation de celles qui subissent simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination: racisme, sexisme, homophobie, etc. Cela fait en sorte qu’il est plus difficile de parler au nous.»

Cela dit, Francine Descarries se réjouit que l’IREF soit demeuré un lieu capable d’accueillir les différentes voix féministes. «Sa grande réussite, souligne-t-elle, est d’avoir permis la coexistence de plusieurs écoles de pensée. Quand on regarde la liste de ses membres, on se rend compte de la diversité des orientations. L’objectif commun est que le nous féministe poursuive la lutte pour une plus grande justice sociale, même si les stratégies proposées pour l’atteindre varient d’une chercheuse à l’autre.»

Depuis de nombreuses années, la sociologue explique à ses étudiantes que la révolution féministe a été la seule à avoir bousculé la façon de concevoir les rapports entre les hommes et les femmes et, ce faisant, notre mode d’organisation sociale. «Malgré certains reculs et tâtonnements, et même si elle est loin d’avoir touché toutes les sociétés, cette révolution constitue une avancée majeure du 20e siècle, qui est là pour durer», conclut Francine Descarries.