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Coup de pouce à la finance sociale

Dans son dernier budget, Ottawa a consenti un montant de 220 millions de dollars au Fonds de finance sociale.

Par Marie-Claude Bourdon

27 avril 2021 à 17 h 04

Mis à jour le 27 avril 2021 à 17 h 04

La finance sociale aide des projets d’entreprises collectives ou d’économie sociale à voir le jour.Image: Getty

Quand la ministre des Finances Chrystia Freeland a déposé son budget, le 19 avril dernier, Marie J. Bouchard, comme toutes les personnes intéressées par le domaine de la finance sociale, était impatiente de voir si Ottawa allait tenir sa promesse. En 2018, le gouvernement fédéral avait annoncé la création prochaine d’un Fonds de finance sociale doté d’un capital de 755 millions de dollars sur 10 ans. «Le gouvernement crée le Fonds et y investira 220 millions sur deux ans, en plus d’octroyer 50 millions par année sur deux ans au Programme de préparation à l’investissement, qui avait déjà été lancé sous forme de projet pilote, dit la professeure du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG. C’est un début.»

Quelques jours avant le dépôt du budget, la professeure et des collègues publiaient sur le site de CBC une lettre ouverte destinée à faire pression sur le gouvernement. Dans cette lettre, ils rappelaient que la pandémie a augmenté les risques liés à la pauvreté en plus de menacer de paralyser l’économie. Pour Marie J. Bouchard, la finance sociale a clairement un rôle à jouer si on veut relever les défis liés aux inégalités sociales et aux enjeux environnementaux. «La finance sociale est un outil adapté à l’innovation sociale, souligne-t-elle. En soutenant celle-ci, elle permet de trouver des solutions qui favorisent le progrès dans la lutte contre les problèmes collectifs.»

Concrètement, la finance sociale aide des projets d’entreprises collectives ou d’économie sociale à voir le jour, illustre la professeure. On pense à des coopératives d’habitation ou d’autre projets de logement à bas loyer pour les familles, les étudiants ou les personnes âgées. Un projet d’économie sociale, cela peut être une épicerie de proximité dans un quartier considéré comme un désert alimentaire ou un organisme d’insertion sociale par l’emploi. D’autres initiatives soutenues par la finance sociale peuvent émaner du milieu culturel – la création d’une radio communautaire, par exemple, ou la mise sur pied d’un écomusée – ou encore avoir une visée environnementale. 

Un écosystème d’accompagnement

Les promoteurs et promotrices de l’économie sociale ont besoin de conseils spécialisés pour démarrer ou développer leur projet. «Préparer un plan d’affaires pour une entreprise d’économie sociale, ce n’est pas la même chose que pour une entreprise traditionnelle», observe Marie J. Bouchard. Dans chacun des domaines de l’économie sociale, il existe des conseillers qui peuvent orienter les efforts visant à mettre sur pied les divers projets, qu’il s’agisse d’un jardin collectif ou d’un projet d’habitation. Mais les promoteurs de ces projets disposent rarement de capitaux pour payer leurs services. «D’où l’importance du Programme de préparation à l’investissement, dit la chercheuse. Ses fonds sont destinés à soutenir l’écosystème d’accompagnement à la création et au développement de ces initiatives.»

Pour une petite entreprise naissante, dépasser l’horizon crucial des premiers cinq ans nécessite un certain accompagnement. «L’idée du Fonds de finance sociale, c’est aussi, dans certains cas, de permettre une mise à l’échelle des organisations, indique la professeure. Comment accroître ses capacités? Comment passer d’une structure qui dessert un nombre limité de ménages à une structure qui va étendre le service plus largement? Pour cela, il faut des fonds, mais il faut aussi des compétences organisationnelles qui ne sont peut-être pas les mêmes que celles dont on avait besoin à une plus petite échelle.»

Finance, et non subvention

La finance sociale est un mode de financement, et non de subvention, qui possède ses caractéristiques propres. Pour décrire ce type d’investissement, on parle de «capital patient». Un fonds va prêter à un organisme, qui va rembourser sa dette sur une longue période et payer des intérêts. «Ce n’est pas du capital vorace, note Marie J. Bouchard. On accepte d’être un peu moins gourmand en matière de rendement financier, sachant qu’on a du rendement social ou environnemental. On crée ainsi des entreprises qui font du développement économique et social et, du coup, l’argent revient. C’est de la finance.»

En principe, la finance sociale compte sur des partenaires publics et privés. Dans leur lettre, Marie J. Bouchard et ses collègues rappellent qu’en 2006, le gouvernement du Canada avait fourni 22,8 millions de dollars à la Fiducie du Chantier de l’économie sociale au Québec, qui finance des entreprises d’économie sociale. Cette initiative a permis d’engranger un apport additionnel de 30 millions de dollars de la part de partenaires financiers. Dans son énoncé budgétaire du 19 avril, le gouvernement prévoit d’ailleurs que le Fonds de finance sociale pourra attirer jusqu’à 1,5 milliard de dollars en capitaux du secteur privé. 

Un modèle exemplaire 

Selon Marie J. Bouchard, le Québec est en avance par rapport au reste du Canada en matière de finance sociale. «Le modèle québécois de finance sociale, basé sur des structures bien ancrées dans les réseaux d’économie sociale, locale et communautaire, est exemplaire, dit-elle. Nous sommes régulièrement invités à travers le monde pour en parler.»

Ce modèle se caractérise par un escalier complet de finance sociale et solidaire, précise la professeure. En plus de gros joueurs comme le Fonds de solidarité FTQ ou Fondaction, les promotrices et promoteurs de projets peuvent aussi faire appel à de plus petits joueurs, comme les associations communautaires d’emprunt, ou à des joueurs intermédiaires, comme la Fiducie du Chantier de l’économie sociale, la Caisse d’économie solidaire Desjardins ou le Réseau d’investissement social du Québec. «Tous ces joueurs, qui agissent à différentes échelles, ont décidé de se regrouper au sein de CAP Finance, le réseau de la finance solidaire et responsable, et de partager leurs expertises, dit Marie J. Bouchard. C’est très intéressant, car ils vont parfois rencontrer les mêmes clients, qui, eux, changent d’échelle, à différentes étapes de leur développement.»

Le milieu de la finance sociale a développé une expertise qui n’existe pas dans le milieu de la finance traditionnelle. CAP Finance a ainsi produit un guide d’analyse financière dédié aux projets d’économie sociale. Ces entreprises n’ont peut-être pas d’actifs, mais elles ont d’autres atouts. «Le guide permet de tenir compte de facteurs non financiers pour prédire la viabilité financière d’une entreprise, explique la chercheuse. Ainsi, on voit que la solidarité, l’ancrage communautaire, le fait d’avoir des partenaires sur le terrain, d’avoir une forte acceptabilité sociale et même une désirabilité sociale vont faire en sorte de soutenir le projet au-delà de ce qu’un banquier pourrait imaginer pour un projet d’entreprise ordinaire.»

Dans les dix années suivant sa création, rappellent Marie J. Bouchard et ses collègues dans leur lettre, la Fiducie du Chantier de l’économie sociale a financé 212 projets, qui ont permis de créer ou de maintenir 3 183 emplois et qui ont mobilisé 374 millions de dollars supplémentaires.

La finance sociale, insiste la professeure, vise à répondre à des besoins, à des aspirations, à une demande qui est en partie solvable. «En ce sens, on peut dire qu’il y a un marché, avec des guillemets, de l’économie sociale. Et le modèle fonctionne. La preuve, c’est que les fonds ne se vident pas. Si les gens ont remboursé leur dette, c’est que le pari a été relevé.»