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Des apprentissages à rattraper

Une enquête auprès des enseignantes et enseignants du primaire révèle le retard des élèves en lecture et en écriture.

Par Pierre-Etienne Caza

8 mars 2021 à 15 h 03

Mis à jour le 8 mars 2021 à 15 h 03

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Photo: Getty Images

La décision de fermer les écoles québécoises au printemps 2020 a eu des répercussions sur les compétences en lecture et en écriture chez les élèves du primaire. Voilà le constat posé par les professeures du Département de d’éducation et formation spécialisées Catherine Turcotte, Marie-Hélène Giguère et Nathalie Prévost, à la suite d’une courte enquête réalisée en janvier dernier auprès d’enseignantes et d’enseignants du primaire. 

«Durant l’été 2020, plusieurs médias ont évoqué des retards d’apprentissage chez les élèves en raison de la fermeture des écoles et de l’enseignement en ligne, rappelle Marie-Hélène Giguère. Or, nous n’avions aucune donnée précisant la nature de ces retards et leur intensité, et la publication du premier bulletin de l’année 2020-2021 a été repoussée en février. Voilà pourquoi nous avons souhaité mener notre propre enquête.» Le rapport faisant état de leur étude est accessible sur le site de l’équipe de recherche Apprenants en difficulté et littératie (ADEL).

Leur échantillon comptait 175 enseignantes et enseignants (incluant également des spécialistes en adaptation scolaire et des orthopédagogues) de plusieurs régions du Québec, de la première à la sixième année du primaire. «Nous voulions d’abord recueillir leurs observations générales, puis connaître quels étaient les éléments qui posaient le plus problème, le cas échéant», explique la chercheuse. 

Observations générales

Les enseignantes et enseignants ont indiqué que leurs élèves sont arrivés en classe lors de la rentrée avec des habiletés plus faibles que celles des élèves des années passées, et ce, tant en lecture (78 %) qu’en écriture (71 %). «Le retour physique en classe dans certaines régions à la fin mai et au début de juin 2020 n’a pas réussi à renverser la situation, observe Marie-Hélène Giguère. La fermeture des écoles en mars et en avril avait déjà causé un retard dommageable en lecture et en écriture.»

Une majorité des enseignantes et enseignants ont signifié devoir aider un plus grand nombre d’élèves ayant des besoins particuliers en lecture (78 %) et en écriture (77 %) depuis la rentrée 2020, et devoir passer plus de temps à enseigner la lecture (67 %) et l’écriture (70 %). Ils sont aussi plus inquiets que d’habitude pour la réussite de leurs élèves en lecture (70 %) comme en écriture (67 %).

Les éléments préoccupants en lecture

En lecture, deux composantes ont été identifiées comme étant inquiétantes par les enseignantes et enseignants: la fluidité et la compréhension de textes longs. «La fluidité se calcule en fonction de trois critères: la vitesse, la précision et l’expression en lecture à voix haute, explique Marie-Hélène Giguère. La pratique régulière, voire quotidienne, de la lecture influence grandement cette aisance à lire.» Les trois chercheuses formulent donc l’hypothèse selon laquelle les élèves ont manqué d’occasions de lire régulièrement pour maintenir leur fluidité. Elles soulignent également que les habiletés de décodage sont liées à la fluidité, cet aspect préoccupant 29 % des enseignantes et enseignants.

La compréhension de textes plus longs (62 %) et de mots rares et inconnus (45 %), deux aspects jugés inquiétants par les répondants, devient plus importante à partir du deuxième cycle du primaire, indiquent les chercheuses dans leur rapport. «La compréhension de textes longs exige la mobilisation de plusieurs connaissances, habiletés et stratégies. Pour une majorité d’élèves, un enseignement dédié à ces dernières est essentiel.»

Les éléments préoccupants en écriture

En écriture, ce sont plutôt les composantes liées à l’orthographe et à la syntaxe qui inquiètent les enseignantes et enseignants. «Il est possible de faire un lien entre les inquiétudes relatives à l’orthographe et celles liées à la fluidité, écrivent les autrices du rapport. En effet, de bonnes connaissances des mots à l’écrit et de leurs propriétés contribuent à la vitesse avec laquelle les mots sont lus.»

L’orthographe lexicale, rappellent les chercheuses, s’apprend grâce à de multiples stratégies variant selon la construction des mots. «L’orthographe grammaticale est dépendante de l’analyse de la phrase et des groupes qui la constituent. Cela demande un travail rigoureux et soutenu pour en voir des effets en situation d’écriture.»

Mesures de soutien et ressources qualifiées

À la lumière des résultats de leur enquête, les trois chercheuses estiment que «des mesures de soutien et de rattrapage devront être entreprises rapidement pour éviter que les inquiétudes rapportées deviennent des difficultés avérées et se perpétuent au cours du cheminement scolaire de ces élèves. Des recherches devront être menées pour mieux comprendre les causes, les effets et les interactions de ces difficultés causées par un contexte exceptionnel.» 

Les besoins les plus pressants des enseignantes et enseignants, précisent-elles, sont de bénéficier de ressources humaines hautement qualifiées afin de faire de l’enseignement individualisé ou en petits groupes avec les élèves, de recevoir de la formation continue spécifique en enseignement du français, puis d’assurer des services de dépistage, de consultation et de soutien auprès des élèves. «Or, les ressources spécialisées font cruellement défaut en raison de la pénurie de personnel: les orthopédagogues sont envoyées dans les classes régulières! Il faut plus que jamais des enseignantes et enseignants qualifiés ayant une formation initiale complète et rigoureuse, ceci afin de libérer les spécialistes pour qu’ils puissent faire le travail pour lequel ils ont été formés», conclut Marie-Hélène Giguère.