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Des champignons pour sauver la planète

La mycoremédiation permet de décontaminer les sols pollués par des hydrocarbures.

Par Émilie Gagné

30 avril 2021 à 13 h 04

Mis à jour le 30 avril 2021 à 13 h 04

Les champignons, comme ces pleurotes, sont les plus puissants organismes recycleurs de la matière organique sur Terre. Photo: Getty Images

La contamination des écosystèmes par des polluants organiques et inorganiques résultant des activités industrielles représente un enjeu économique, politique, social et environnemental de taille. Si les causes sont multiples et la problématique complexe, les solutions sont peut-être beaucoup plus simples qu’il n’y paraît. Il suffirait, en effet, de porter attention à des organismes présents sur Terre depuis plusieurs centaines de millions d’années et dont les propriétés sont encore largement méconnues: les champignons.

Les sols contaminés: un enjeu contemporain

Selon un inventaire réalisé par l’Initiative nationale pour les mines orphelines ou abandonnées (INMOA), on retrouve plus de 10 000 sites miniers abandonnés au Canada. Au Québec, les données les plus récentes du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles en recensent plus de 220, dont la gestion tombe sous la responsabilité de l’État, ce qui représente des dépenses se chiffrant à plus d’un milliard de dollars. Tant qu’ils ne font pas l’objet d’une réhabilitation, ces sites posent de sérieux risques pour la santé humaine et l’environnement, puisqu’ils libèrent des résidus et des effluents acides contenant des éléments traces métalliques (ETM), lesquels s’accumulent en quantités toxiques dans les écosystèmes et les organismes vivants qui les fréquentent.

En plus des sites miniers, on compte plus de 1900 terrains, également sous la responsabilité de l’État québécois, dont les sols, souvent situés en milieu urbain, sont contaminés par différents polluants. La facture de réhabilitation pour ces terrains pourrait s’élever jusqu’à 3 milliards de dollars.

Parmi les polluants les plus répandus dans les sols, on retrouve les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), issus de la combustion de produits pétroliers. Les HAP ont un effet toxique sur le fonctionnement des organismes vivants, provoquant notamment l’apparition de cancers. Tout comme les éléments traces métalliques, les HAP sont des polluants jugés d’intérêt prioritaire en santé environnementale.

Les coûts astronomiques pour réhabiliter les sols contaminés nécessitent des réflexions quant à l’efficacité et au caractère durable des méthodes d’interventions utilisées. Ces méthodes se classent en deux approches: les approches in situ – la remédiation des sols contaminés intervient sur le site lui-même – et les approches ex situ – les sols sont excavés et retirés du site à réhabiliter. Cette dernière approche est non seulement la plus courante, mais également la plus coûteuse, et son issue est souvent l’enfouissement des sols contaminés dans des sites désignés, tels que des décharges, ce qui revient à délocaliser le problème.

Une biotechnologie pour dépolluer la planète

Dans la perspective de développer des alternatives écologiques, efficaces et moins coûteuses que les méthodes traditionnelles, les scientifiques se sont tournés vers la nature. À ce titre, la mycoremédiation est une approche technique novatrice pour la décontamination des sols. Elle repose sur des mécanismes vieux de plusieurs centaines de millions d’années, soit les incroyables capacités de dégradation de la matière organique des organismes décomposeurs que sont les champignons.

Les champignons sont en effet les plus puissants organismes recycleurs de la matière organique sur Terre. Ils possèdent de puissantes enzymes, telles que les peroxydases et les laccases, capables de briser des molécules toxiques complexes très stables et résistantes à la dégradation en molécules simples non toxiques. Ce sont ces mêmes enzymes qui permettent aux champignons saprotrophes, soit les champignons se nourrissant d’arbres morts, de digérer la lignine, cette substance donnant sa rigidité et sa robustesse au bois. Ainsi, des espèces saprotrophes telles que le pleurote en forme d’huître (Pleurotus ostreatus), que l’on connaît comme un excellent comestible, sont en mesure de dégrader les contaminants organiques tels que les HAP.

L’un de pionniers des approches en mycoremédiation, le mycologue américain Paul Stamets, a inoculé avec du mycélium de pleurote des échantillons de sols dont le niveau de contamination au carburant diesel était similaire à celui des plages de l’Alaska à la suite de la marée noire causée par l’Exxon Valdez en 1989. Après 4 semaines, 95 % des molécules toxiques de HAP présentes dans les échantillons de sols contaminés avaient disparu, transformées en eau et en sucres pour nourrir la croissance des champignons!

Depuis, d’autres études sont venues appuyer ces résultats et témoigner des extraordinaires capacités de cette espèce de champignons pour la remédiation des sols contaminés, même face à des éléments traces métalliques, qui sont pourtant des contaminants inorganiques non biodégradables. Le pleurote est en mesure de les extraire du milieu et de les concentrer de manière très efficace dans ses fructifications, qui peuvent ensuite être récoltées, retirant ainsi du milieu les ETM.

Au Zimbabwe, une étude réalisée par inoculation de pleurote sur des résidus miniers a démontré une diminution des concentrations en ions libres de 98 % pour le manganèse, de 79 % pour le chrome, de 93 % pour le plomb, de 78 % pour le fer et de 88 % pour le cadmium.

En outre, les fructifications des champignons ne sont que la partie visible d’un vaste réseau de filaments souterrains, le mycélium, qui peut s’étendre sur des kilomètres dans le sol forestier. Une simple poignée de terre peut comprendre des dizaines de kilomètres de filaments de mycélium. Or, c’est cette imposante biomasse qui confère au pleurote son impressionnant potentiel d’extraction, de dégradation et d’immobilisation des contaminants.

Les avantages reliés aux approches in situ de mycoremédiation reposent, notamment, sur la croissance rapide de ces organismes polyvalents, qui sont en mesure de proliférer dans des conditions de forte acidité, dans un large spectre de températures. On retrouve, en effet, des champignons sur tous les continents, à toutes les latitudes et dans tous les écosystèmes terrestres. La répartition planétaire du pleurote est l’une des raisons qui expliquent pourquoi il suscite tant d’attention en mycoremédiation.

Les approches in situ de mycoremédiation permettent ainsi l’utilisation d’espèces indigènes de champignons dans la réhabilitation des sites contaminés. Cela signifie qu’en plus d’être efficaces pour la remédiation, ces espèces sont adaptées aux conditions environnementales locales du site en question. Leur présence est positive dans le rétablissement d’un écosystème, puisqu’ils font intrinsèquement partie des communautés locales d’organismes. Ils permettent de rétablir l’équilibre biologique des sols, de restaurer les habitats dégradés et d’ouvrir la voie à la reconstruction de communautés biologiques complexes et riches en biodiversité. De véritables ingénieurs d’écosystèmes!

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Cet article a été rédigé dans le cadre du cours Éléments d’écotoxicologie donné au trimestre d’hiver 2021 par les professeurs Philippe Juneau, Maikel Rosabal Rodriguez et Jonathan Verreault, du Département des sciences biologiques. Les étudiants, inscrits au baccalauréat en sciences naturelles appliquées à l’environnement ou au certificat en écologie, devaient produire un article de vulgarisation scientifique qui a été évalué dans le cadre du cours. Il s’agissait d’un premier contact, dans leur cursus, avec la toxicologie et la santé environnementale. Parmi les meilleurs articles choisis par les professeurs, Actualités UQAM a sélectionné celui d’Émilie Gagné pour publication.