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Des relations bénéfiques

Comment les relations interpersonnelles favorisent-elles le rétablissement en santé mentale?

Par Pierre-Etienne Caza

28 mai 2021 à 12 h 05

Mis à jour le 1 juin 2021 à 17 h 06

François Lauzier-Jobin a documenté les mécanismes à l’œuvre dans les relations interpersonnelles qui favorisent le rétablissement des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale.Photo: iStock

En santé mentale, on sait que le soutien social favorise le rétablissement, mais on n’a jamais véritablement étudié les mécanismes en cause. «Les participants interviewés dans le cadre des études en santé mentale mentionnent parfois avoir bénéficié de l’aide d’un proche pour s’en sortir, mais ça ne dépasse jamais le stade anecdotique», souligne François Lauzier-Jobin.

Dans le cadre de sa thèse par articles, réalisée sous la direction de la professeure Janie Houle, le doctorant en psychologie a documenté les mécanismes à l’œuvre dans les relations interpersonnelles qui favorisent le rétablissement des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale. «L’aspect novateur de mon travail a été de comparer empiriquement ces relations tant du côté du soutien formel, apporté par les intervenants du réseau de la santé, que du soutien informel, provenant d’un intime ou d’un proche», précise-t-il.

Un article de sa thèse a été publié dans l’International Journal of Social Psychiatry, tandis qu’un autre est en révision auprès de Qualitative Health Research.

Le concept de rétablissement personnel

Plutôt que de s’intéresser au rétablissement clinique, basé sur l’évaluation des symptômes, François Lauzier-Jobin a retenu le concept de rétablissement personnel, de plus en plus en vogue dans les pays anglo-saxons. «Il est tout à fait possible qu’une personne ayant eu un diagnostic de dépression, de trouble anxieux ou de trouble bipolaire se considère en rétablissement si son état s’est amélioré, explique-t-il. Cette personne peut présenter des symptômes cliniques, mais néanmoins vivre une vie pleine, entière et satisfaisante. À cet égard, le rétablissement en santé mentale est un processus variable selon les individus, auquel peuvent participer autant des membres de la famille ou des amis que des intervenants du réseau de la santé.»

François Lauzier-Jobin a constitué un échantillon de 15 personnes se considérant en rétablissement à la suite d’un diagnostic lié à leur santé mentale. Il a interviewé individuellement chaque personne, ainsi que son proche le plus significatif et son intervenant le plus significatif, pour un total de 45 participants. 

Le proche le plus significatif

Le premier article de sa thèse a révélé les mécanismes à l’œuvre chez les proches pour soutenir la personne en rétablissement. «Être présent pour l’autre est souvent suffisant en soi, mais nous avons également noté le soutien émotionnel, l’écoute, la communication et la camaraderie, entre autres.»

Une idée forte est ressortie: le proche aidant peut soutenir l’intervention professionnelle. «Si le professionnel donne des “devoirs” ou des “tâches à faire” à son patient, le proche aidant peut donner un coup de main. Le simple fait qu’il approuve la pertinence des recommandations médicales peut s’avérer positif.» 

Le rôle des intervenants

Lorsque François Lauzier-Jobin a demandé d’identifier l’intervenant professionnel ayant le plus aidé dans le processus de rétablissement, ses sujets ont évoqué des psychologues, des travailleurs sociaux, des infirmières, un travailleur du milieu communautaire et une ergothérapeute. «En entrevue avec ces personnes, nous avons parlé d’empathie et d’alliance thérapeutique, mais nous avons aussi abordé ce qui relève davantage des relations interpersonnelles», note le chercheur. 

Ce territoire est peu exploré par la recherche, car les intervenants préfèrent habituellement conserver une saine distance avec leurs patients. «Nous avons pourtant découvert que dans les interventions en santé mentale, la réciprocité relationnelle, laquelle implique un dévoilement de soi de la part de l’intervenant, est bénéfique pour le patient. Il ne s’agit pas de développer une amitié, mais plutôt d’instaurer une relation plaisante, empreinte de soutien et de camaraderie, favorisant le rétablissement.»

Des rôles qui s’actualisent différemment

Le troisième article de sa thèse s’attarde aux comparaisons entre les différents types de soutien ainsi qu’entre les différents mécanismes à l’œuvre dans ces relations interpersonnelles. «Nous avons noté que les proches comme les intervenants endossent différents rôles, et souvent plusieurs à la fois (nous en avons identifié une douzaine), et que chacun de ceux-ci peut favoriser le rétablissement de la personne aux prises avec un problème de santé mentale», précise le doctorant. 

Ces rôles sont les mêmes, mais ils s’actualisent de manière différente, a constaté François Lauzier-Jobin. «Par exemple, les proches sont plus impliqués émotivement, ils sont dans la sympathie, alors que les professionnels conservent une distance émotionnelle, ils sont davantage dans l’empathie. Mais la présence et l’écoute dont les uns et les autres font preuve a un impact sur le rétablissement.»

Les compétences sur lesquelles on s’appuie pour aider la personne ne sont pas les mêmes, a constaté le doctorant. «Les proches aidants se fient davantage sur leur intuition et leur vécu personnel pour conseiller la personne en rétablissement, tandis que l’approche des intervenants, basée sur leur formation, est plus réflexive, plus approfondie. Ces derniers peuvent aller plus loin dans l’intervention.»

Les professionnels peuvent également aller chercher du soutien auprès de collègues ou d’un superviseur, au besoin, alors que les proches n’ont pas la distance émotionnelle suffisante pour s’ajuster.

Enfin, François Lauzier-Jobin a constaté que la personne en rétablissement possède un pouvoir non négligeable, qui influence grandement le processus: celui de choisir à qui elle demande de l’aide et ce qu’elle veut aborder au fil des relations interpersonnelles qu’elle tisse. «Et c’est sans compter l’autogestion, qui est le fait de s’aider soi-même!», conclut le chercheur.

D’autres pistes à explorer 

François Lauzier-Jobin estime que la dichotomie entre le soutien formel et le soutien informel est, d’une certaine façon, révolue. Puisque la tendance est à penser le soutien comme un continuum de relation d’aide, celui-ci doit englober beaucoup plus de gens que les médecins de famille et les psychologues. «Il faudrait par exemple analyser le rôle que peuvent jouer les superviseurs en milieu de travail, les avocats spécialisés en divorce, et même, pourquoi pas, les coiffeurs et coiffeuses!, avance le chercheur. Ce sont toutes des personnes à même de jauger l’état d’esprit de leurs employés/clients et de leur venir en aide, dans la mesure de leurs moyens. On pourrait également étudier le rôle des pairs aidants et des professionnels ayant vécu des problèmes de santé mentale pour épauler celles et ceux qui en souffrent. C’est souvent plus facile de se confier à quelqu’un qui a vécu quelque chose de semblable.»