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Étudier les milieux humides le long de la 138

Une recherche évaluera les impacts écosystémiques de la prolongation de la route 138 en milieu boréal au Québec.

Par Claude Gauvreau

14 juin 2021 à 9 h 06

Mis à jour le 14 juin 2021 à 9 h 06

Série En vert et pour tous
Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.

La route 138 sera prolongée entre Kegaska et La Romaine, un secteur où l’on compte de nombreux cours d’eau et milieux humides.Photo: J-M Blondin-Provost

Un contrat de recherche d’une valeur de plus de 460 000 dollars a été conclu entre l’UQAM et le ministère des Transports du Québec pour réaliser un projet de recherche visant à évaluer l’impact de la construction d’un nouveau tronçon de route sur les services écosystémiques rendus par les milieux humides en Basse-Côte-Nord, en particulier les tourbières. Ce projet, qui s’échelonnera du printemps 2021 à l’automne 2026, est mené sous la direction de la professeure du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère Marie Larocque, titulaire de la Chaire de recherche sur l’eau et la conservation du territoire, en collaboration avec la professeure du Département de géographie Michelle Garneau, Monique Poulin de l’Université Laval et Jérôme Dupras de l’Université du Québec en Outaouais.

«Les connaissances générées par cette recherche, une première au Québec, pourront servir à développer des méthodes de conception et de construction routière adaptées aux milieux humides, limitant ainsi les incidences nocives sur l’environnement», soutient Marie Larocque.

Selon la professeure, le ministère des Transports est préoccupé depuis longtemps par les impacts de la construction d’infrastructures routières sur les milieux naturels dans les régions nordiques, notamment sur l’équilibre hydrologique et les bilans de carbone. «Une employée du ministère, Ariane Bouffard, m’a approchée il y a un an environ pour discuter de la possibilité d’effectuer une recherche sur les retombées écologiques de la construction de nouveaux tronçons de la route 138 en Basse-Côte-Nord», explique Marie Larocque. Maintenant doctorante en sciences de l’environnement à l’UQAM, Ariane Bouffard a choisi d’en faire son projet de thèse. Elle a obtenu du financement de son ministère ainsi qu’une bourse du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG).

La route 138 sera prolongée sur une distance de 50 kilomètres entre Kegaska et La Romaine, un secteur où l’on compte de nombreux cours d’eau et milieux humides. «La population vivant sur la Côte-Nord réclame depuis plusieurs années la construction d’un nouveau tronçon de route afin de relier entre elles les petites localités et communautés, notamment les communautés autochtones qui y pratiquent la chasse, la pêche et la cueillette de fruits», rappelle Marie Larocque.

Modifications hydrologiques

L’équipe de recherche dirigée par la professeure vise à identifier et évaluer les impacts d’une route sur les services écosystémiques fournis par les tourbières et autres milieux humides dans la zone faisant l’objet de l’étude. Elle décrira et quantifiera, notamment, les modifications hydrologiques pouvant survenir dans les tourbières en raison de la construction du nouveau tronçon routier.

«Les tourbières jouent un rôle important de régulateur des flux hydriques, car elles peuvent emmagasiner temporairement de l’eau avant de la restituer dans l’environnement», explique Marie Larocque. Cela est dû, entre autres, aux caractéristiques des sphaignes qui sont à la base de la formation de la tourbe et qui agissent comme de véritables éponges par leur capacité de rétention en eau. «En régulant le débit de l’eau, les tourbières permettent, à certaines périodes de l’année, d’atténuer les phénomènes de crue, soit l’élévation des débits et du niveau des cours d’eau», poursuit la chercheuse. Enfin, en restituant progressivement l’eau au milieu, les tourbières contribuent à maintenir un débit d’eau minimal dans les cours d’eau en été.

Par ailleurs les tourbières constituent des puits de carbone essentiels à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, contribuant à atténuer le réchauffement climatique. «Nous quantifierons les stocks de carbone contenus dans les tourbières de la région et évaluerons dans quelle mesure les travaux de construction routière pourraient affecter leur fonction de séquestration du carbone», observe Marie Larocque.

Selon une étude réalisée en 2016 sous la direction de la professeure du Département de géographie Michelle Garneau à la demande du ministère de l’Environnement, les tourbières couvrent entre 8 % et 12 % du territoire du Québec. Principalement concentrées dans les zones boréales et subarctiques, elles renferment de 8 à 10 milliards de tonnes de carbone.

Impacts sur la végétation

Décrire l’impact du prolongement de la route 138 sur la végétation des tourbières est un autre objectif de la recherche. «La végétation des tourbières est un bon indicateur de la dynamique des milieux humides, note Marie Larocque. L’origine de l’eau souterraine dans les tourbières influence la composition de leur végétation. Une eau minéralisée, par exemple, qui a été en contact avec des roches, favorisera l’apparition de certaines espèces végétales». Des observations réalisées dans le sud du Québec ont montré, par ailleurs, que l’introduction d’espèces ligneuses dans une tourbière a pour effet d’abaisser leur niveau d’eau, affectant la croissance des mousses et des sphaignes, et probablement d’influencer l’accumulation de matière organique et leur capacité de captation du carbone atmosphérique. Enfin, la végétation et l’hydrologie des tourbières contribuent également à l’assainissement de l’eau.

La recherche comportera également un volet économique consistant à identifier et à chiffrer monétairement les conséquences de l’apparition d’un nouveau tronçon routier sur les services écosystémiques rendus par les milieux humides.

Éclairer les décisions

L’équipe de recherche souhaite outiller le ministère en lui fournissant de nouvelles connaissances, pour contribuer à éclairer ses décisions. «Nous voulons d’abord bien comprendre les caractéristiques des milieux naturels qui seront traversés par la route, avant même que ne débutent les travaux de construction, puis assurer un suivi post-construction afin de documenter  les impacts environnementaux», dit Marie Larocque.

La recherche débouchera sur des recommandations au ministère concernant les objectifs qui devront être atteints pour maintenir ou rétablir l’équilibre hydrologique et les caractéristiques écologiques des milieux humides, sachant que la fragmentation ou la division d’un milieu humide par la construction d’infrastructures routières peut perturber sa dynamique hydrique et sa capacité de stockage du carbone. «Nous ferons des recommandations afin que le ministère puisse minimiser les impacts négatifs des travaux sur les milieux humides et plus spécifiquement sur les tourbières afin qu’elles conservent leur intégrité hydrologique, écologique et biogéochimique», indique la professeure.

On sait que les activités de développement industriel, incluant les infrastructures routières, exercent des pressions anthropiques susceptibles de perturber l’écosystème des tourbières. Est-il possible de concilier la protection de ces milieux et les activités de construction routière?

«Nous travaillerons avec le ministère sur les ajustements à apporter pour atténuer le plus possible les impacts sur les milieux naturels, souligne Marie Larocque. Si, au cours des prochaines décennies, le Québec envisage de construire de nouvelles routes sur des milliers de kilomètres pour faciliter l’accès aux régions nordiques, il faut commencer dès maintenant à se poser de bonnes questions sur les enjeux environnementaux associés à ce type de projets. Chose certaine, on sent une volonté de la part du ministère des Transports de bien faire les choses».